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Les croisades vues par les arabes

Les croisades vues par les arabes

Titel: Les croisades vues par les arabes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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de loin la silhouette des trois minarets de la mosquée omayyade qui se détachent au-dessus de l'enceinte carrée, ils ont étendu leurs tapis de prière et se sont prosternés pour remercier le Tout-Puissant d'avoir ainsi prolongé leur vie qu'ils croyaient arrivée à son terme. En tant que grand cadi de Damas, Abou-Saad al-Harawi a accueilli les réfugiés avec bienveillance. Ce magistrat d'origine afghane est la personnalité la plus respectée de la ville; aux Palestiniens il a prodigué conseils et réconfort. Selon lui, un musulman ne doit pas rougir d'avoir dû fuir sa maison. Le premier réfugié de l'islam ne fut-il pas le prophète Mahomet lui-même, qui avait dû quitter sa ville natale, La Mecque, dont la population lui était hostile, pour chercher refuge à Médine, où la nouvelle religion était mieux accueillie? Et n'est-ce pas à partir de son lieu d'exil qu'il avait lancé la guerre sainte, le jihad, pour libérer sa patrie de l'idolâtrie? Les réfugiés doivent donc bien se savoir les combattants de la guerre sainte, les moujahidines par excellence, si honorés dans l'islam que l'émigration du Prophète, l'hégire, a été choisie comme point de départ de l’ère musulmane.
    Pour beaucoup de croyants, l'exil est même un devoir impératif en cas d'occupation. Le grand voyageur Ibn Jobair, un Arabe d'Espagne qui visitera la Palestine près d'un siècle après le début de l'invasion franque, sera scandalisé de voir que certains musulmans, « subjugués par l'amour du pays natal », acceptent de vivre en territoire occupé. « Il n'y a, dira-t-il, pour un musulman, aucune excuse devant Dieu à son séjour dans une ville d’incroyance, sauf s'il est simplement de passage. En terre d'islam, il se trouve à l'abri des peines et des maux auxquels on est soumis dans les pays des chrétiens; comme entendre, par exemple, des paroles écœurantes au sujet du Prophète, particulièrement dans la bouche des plus sots, être dans l'impossibilité de se purifier et vivre au milieu des porcs et de tant de choses illicites. Gardez-vous, gardez-vous de pénétrer dans leurs contrées! Il faut demander à Dieu pardon et miséricorde pour une telle faute. L'une des horreurs qui frappent les yeux de quiconque habite le pays des chrétiens est le spectacle des prisonniers musulmans qui trébuchent dans les fers, qui sont employés à de durs travaux et traités en esclaves, ainsi que la vue des captives musulmanes portant aux pieds des anneaux de fer. Les cœurs se brisent à leur vue, mais la pitié ne leur sert à rien. »
    Excessifs du point de vue de la doctrine, les propos d’Ibn Jobair reflètent bien toutefois l'attitude de ces milliers de réfugiés de Palestine et de Syrie du Nord rassemblés à Damas en ce mois de juillet 1099. Car, si c'est évidemment la mort dans l'âme qu'ils ont abandonné leurs demeures, ils sont déterminés à ne jamais revenir chez eux avant le départ définitif de l'occupant et résolus à réveiller la conscience de leurs frères dans toutes les contrées de l'islam.
    Autrement, pourquoi seraient-ils venus à Bagdad sous la conduite d'al-Harawi? N'est-ce pas vers le calife, le successeur du Prophète, que doivent se tourner les musulmans aux heures difficiles? N'est-ce pas vers le prince des croyants que doivent s'élever leurs plaintes et leurs doléances?
    A Baghdad, la déception des réfugiés sera à la mesure de leurs espoirs. Le calife al-Moustazhir-billah commence par leur exprimer sa profonde sympathie et son extrême compassion, avant de charger six hauts dignitaires de la cour d'effectuer une enquête sur ces fâcheux événements. Faut-il préciser qu'on n’entendra plus jamais parler de ce comité de sages ?
    Le sac de Jérusalem, point de départ d'une hostilité millénaire entre l'Islam et l’Occident, n'aura provoqué, sur le moment, aucun sursaut. Il faudra attendre près d'un demi-siècle avant que l'Orient arabe ne se mobilise face à l'envahisseur, et que l'appel au jihad lancé par le cadi de Damas au diwan du calife ne soit célébré comme le premier acte solennel de résistance. Au début de l'invasion, peu d'Arabes mesurent d'emblée, à l'instar d’al-Harawi, l'ampleur de la menace venue de l'Ouest. Certains s'adaptent même par trop vite à la nouvelle situation. La plupart ne cherchent qu'à survivre, amers mais résignés. Quelques-uns se posent en observateurs plus ou moins lucides, essayant de comprendre ces événements aussi imprévus

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