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Les croisades vues par les arabes

Les croisades vues par les arabes

Titel: Les croisades vues par les arabes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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leur clameur qui s'approche. Le soleil qui se lève derrière lui les frappe en plein visage. Retenant son souffle, il fait signe à ses émirs de se tenir prêts. L'instant fatidique arrive. Un geste à peine perceptible, quelques ordres chuchotés çà et là, et voici les archers qui bandent lentement leurs arcs. Brusquement, mille flèches jaillissent en un seul et long sifflement. La plupart des chevaliers s'écroulent dès les premières minutes. Puis les fantassins sont décimés à leur tour. 
    Quand le corps à corps s'engage, les Franj sont déjà en déroute. Ceux qui étaient à l'arrière sont revenus en courant vers le camp où les non-combattants sont à peine réveillés. Un vieux prêtre célèbre une messe matinale, quelques femmes préparent à manger. L'arrivée des fugitifs avec les Turcs à leurs trousses jette l'effroi. Les Franj fuient dans toutes les directions. Certains, qui ont tenté d'atteindre les bois voisins, sont vite rattrapés. D'autres, mieux inspirés, se barricadent dans une forteresse désaffectée qui présente l'avantage d'être adossée à la mer. Ne voulant pas prendre de risques inutiles, le sultan renonce à les assiéger. La flotte byzantine, rapidement prévenue, viendra les récupérer. Deux à trois mille hommes s'échapperont ainsi. Pierre l'Ermite, qui se trouve depuis quelques jours à Constantinople, a de ce fait, lui aussi, la vie sauve. Mais ses partisans ont moins de chance. Les femmes les plus jeunes ont été enlevées par les cavaliers du sultan pour être distribuées aux émirs ou vendues sur les marchés d'esclaves. Quelques jeunes garçons connaissent le même sort. Les autres Franj, près de vingt mille sans doute, sont exterminés. 
    Kilij Arslan jubile. Il vient d'anéantir cette armée franque que l'on disait si redoutable, et les pertes de ses propres troupes sont insignifiantes. Contemplant l'immense butin amassé à ses pieds, il croit vivre son plus beau triomphe.
    Et, pourtant, rarement dans l'Histoire une victoire aura coûté aussi cher à ceux qui l'ont remportée. 
    Grisé par le succès, Kilij Arslan veut ignorer les renseignements qui se succèdent l'hiver suivant sur l'arrivée de nouveaux groupes de Franj à Constantinople. Pour lui, et même pour les plus sages de ses émirs, il n'y a là plus rien d'inquiétant. Si d'autres mercenaires d'Alexis osaient encore franchir le Bosphore, ils seraient taillés en pièces comme ceux qui les ont précédés. Dans l'esprit du sultan, il est temps de revenir aux préoccupations majeures de l'heure, autrement dit à la lutte sans merci ‘qu'il mène depuis toujours contre les princes turcs, ses voisins. C'est là, et nulle part ailleurs, que se décidera son sort et celui de son domaine. Les affrontements avec les Roum ou leurs étranges auxiliaires franj ne seront jamais qu'un intermède. 
    Le jeune sultan est bien placé pour le savoir. N'est-ce pas dans l'un de ces interminables combats de chefs que son père Suleiman a laissé la vie en 1086? Kilij Arslan avait alors à peine sept ans, et il aurait dû prendre la succession sous la régence de quelques émirs fidèles, mais il avait été écarté du pouvoir et conduit en Perse sous prétexte que sa vie était en danger. Adulé, entouré d'égards, servi par une nuée d'esclaves attentionnés, mais étroitement surveillé, avec interdiction formelle de visiter son royaume. Ses hôtes, c'est-à-dire ses geôliers, n'étaient autres que les membres de son propre clan : les Seldjoukides. 
    S'il y a, au xx° siècle, un nom que nul n'ignore, des abords de la Chine au lointain pays des Franj, c'est bien celui-là. Venus d'Asie centrale avec des milliers de cavaliers nomades aux longs cheveux tressés, les Turcs seldjoukides se sont emparés en quelques années de toute la région qui s'étend de l'Afghanistan à la Méditerranée. Depuis 1055, le calife de Baghdad, successeur du Prophète et héritier du prestigieux empire abbasside, n'est qu'une marionnette docile entre leurs mains. D'Ispahan à Damas, de Nicée à Jérusalem, leurs émirs font la loi. Pour la première fois depuis trois siècles, tout l’Orient musulman est réuni sous l'autorité d'une dynastie unique qui proclame sa volonté de redonner à l'islam sa gloire passée. Les Roum, écrasés par les Seldjoukides en 1071, ne se sont jamais relevés. L'Asie Mineure, la plus grande de leurs provinces, a été envahie; leur capitale elle-même n'est plus en sécurité; leurs

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