Les émeraudes Du Prophète
tu lui as confié que nous y allions, nous, pour deux émeraudes…
— Arrête, tu veux ! Un : je ne suis pas noyé dans ses yeux bleus, je les trouve ravissants, un point c’est tout. Deux : je lui ai dit que nous nous intéressions, nous, au Trésor desdits sultans, ce qui est normal pour un expert tel que toi et que nous allions le visiter…
— Au fait, tu l’as obtenue, l’autorisation ?
— Bien entendu. Je ne serais pas venu sans elle… Et trois : j’aimerais bien que tu ne te mêles pas de ma vie privée. Je ne t’ai jamais fait de reproches, moi, quand tu délirais à propos de certaine Polonaise captivante…
— Laisse-la dormir en paix ! coupa sèchement Morosini.
— Je n’ai pas l’intention de troubler son repos mais je veux seulement te faire comprendre que je ne suis pas en bois et que j’ai droit, moi aussi, à quelques battements de cœur ?
— J’admets tout ce que tu veux, soupira Moro radouci, et même je te demande pardon… mais avoue que cette jolie fille tombe mal… ou trop bien, ajouta-t-il mentalement.
Il ne pouvait s’empêcher de rapprocher l’arrivée de cette miss Dawson, de la mise en garde de la voyante à laquelle, cependant, il avait refusé de s’arrêter : « Tu vas être en danger… » C’était peut-être idiot, mais il se promit tout de même d’accepter une invitation qu’il avait mise de côté depuis quatre jours que Luisa Casati était partie.
— Oh, ce n’est pas grave, reprit Adalbert avec son bon sourire habituel, et moi je ne pensais pas que sa présence pourrait te contrarier. C’est ta visite à Prague qui t’a rendu nerveux ? Tu as eu de mauvaises nouvelles ?
— Les pires. Jehuda Liwa est mort et nous ne pouvons plus compter sur cette piste-là !
— Ce ne sera peut-être pas si dramatique. Je suis persuadé que les pierres dorment tranquillement depuis des siècles dans le trésor ottoman…
— À moins que l’un des sultans, et pourquoi pas Murad II, ait jugé bon de se faire enterrer avec. Souviens-toi de notre aventure en Bohême ! Cette fois, il ne s’agirait plus d’une tombe abandonnée dans une forêt mais d’une mosquée à Brousse.
— Oh, pourquoi imaginer le pire ?
— Je ne sais pas. Peut-être parce que l’on m’a dit récemment que j’allais être en danger. Et toi avec moi sans doute.
— Qui a pu te dire ça ?… Une voyante ?
— Banco ! Tu as gagné.
Les yeux bleus d’Adalbert qui avait cru lancer une bonne plaisanterie s’arrondirent de stupeur :
— Tu fréquentes les tireuses de cartes, toi ?
— Bien sûr que non. Simplement, j’ai été amené à en rencontrer une… Prenons un autre verre, je vais te raconter ça !
Tout en dégustant un second Martini dry, Aldo relata sa rencontre avec la marquise Casati et comment il avait été amené à l’accompagner chez Salomé, ce qui s’y était passé et, pour finir, la phrase l’invitant à revenir quand il le voudrait…
— Et tu n’y es pas allé ? À ta place j’aurais couru le soir suivant. C’est diablement excitant, ton histoire !
— Trop !… Ne me prends pas pour un fat mais je lis assez bien dans les yeux des femmes et dans les yeux de celle-là, j’ai lu une sorte… d’invite. Et j’ai pensé que si elle parlait de danger, c’était pour piquer ma curiosité…
— C’est possible et, dans ces conditions, je te vois mal te rendant aux désirs d’une belle Juive alors que tu vis une angoisse perpétuelle pour Lisa. Cependant n’oublie pas ce que t’a dit la Casati « Elle dit des choses trop vraies ! » Ça vaudrait peut-être la peine d’y aller voir. J’irai avec toi si tu veux…
— Merci mon vieux mais je peux sortir sans ma nounou ! Et je saurai mieux résister à cette Salomé-là que le vieil Hérode, même si elle me fait le coup de la danse des sept voiles !… Bon, oublions ça pour le moment et revenons à Topkapi. As-tu l’autorisation que nous souhaitions ?
— L’ambassade n’a fait aucune difficulté. Nous irons demain au palais pour prendre langue. Rassure-toi, Hilary ne viendra pas avec nous : elle a rendez-vous après-demain…
C’était toujours autant de gagné !
Le lendemain, l’Ortakapi, la lourde porte ogivale flanquée de deux tours octogones à poivrières donnant accès à Topkapi Saraï – le palais de la Porte du Canon – s’entrouvrait pour Aldo Morosini et Adalbert Vidal-Pellicorne, vêtus comme il convient à des
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