Les huguenots - Cent ans de persécutions 1685-1789
les huguenots fuyaient les églises, ils
allaient se marier devant des pasteurs, et faisaient baptiser leurs
enfants par eux, mais, en agissant ainsi, ils n’avaient plus d’état
civil.
Pour mettre fin à un tel état de choses, Louis
XVI, en 1787, promulgua un édit qui – sans faire mention des
protestants – permettait aux
non-catholiques
d’opter entre
leur Curé et un fonctionnaire laïque pour donner une constatation
légale à leurs naissances, à leurs mariages et à leurs décès.
Dans un mandement des plus violents, l’évêque
de la Rochelle protesta contre cet édit réparateur et, interdisant
aux prêtres de son diocèse de faire fonctions d’officiers de l’état
civil pour les
non catholiques
il leur enjoignit de
déclarer à ceux qui se présenteraient devant eux que leur ministère
était exclusivement réservé aux fidèles. En parlant ainsi, cet
évêque était dans la logique de la doctrine catholique, en vertu de
laquelle toutes les libertés et tous les droits doivent être le
privilège
des catholiques ; en sorte que donner la
liberté à tous, c’est
détruire
la liberté des catholiques,
de même que c’est porter atteinte aux droits imprescriptibles de
l’Église que de donner tous ses effets civils à un mariage qu’elle
qualifie de
concubinat
, parce qu’il n’a pas été béni par
elle. Que nous importe aujourd’hui, dira-t-on, la doctrine
d’intolérance de l’Église catholique ? Notre société
n’a-t-elle point pour base, l’égalité de tous les citoyens devant
la loi, l’égalité des droits des sectateurs de toutes les religions
et de toutes les opinions philosophiques ?
Sans parler de l’explosion de cléricalisme qui
s’est produite après le 24 mai, est-il permis d’oublier combien les
flots de la mer politique sont changeants ? Une surprise du
scrutin, ainsi que la Belgique en a fait naguère l’épreuve, ainsi
qu’en témoigne le vote du 4 octobre 1885 en France, ne
pourrait-elle ramener au pouvoir, les partisans
masqués
d’une théocratie absolument hostile aux principes du droit
nouveau ? Sans doute un changement aussi radical dans
l’orientation politique de notre pays, ne se produirait point sur
une plate-forme électorale semblable à celle établie par
M. Chesnelong et douze autres apôtres de l’ancien régime. Que
l’on demande au pays de proclamer par son vote que l’indépendance
de l’Église, c’est-à-dire son droit à la domination, que les
libertés nécessaires de l’Église, c’est-à-dire la suppression de la
liberté des autres, sont des droits antérieurs et supérieurs à tous
les gouvernements, le pays ne comprendra même pas ce langage d’un
autre âge. Qu’on le mette en demeure d’opter entre l’ancien régime
et la révolution, ainsi que l’ont fait les ouvriers légitimistes
des quatre-vingts quartiers de Paris : « Nous réclamons
la restauration de la monarchie légitime et chrétienne ;
arrière donc la révolution ! » il ne daignera même pas
honorer d’une réponse une telle mise en demeure ; mais, ne
peut-il arriver que, sans avoir été posée devant les électeurs, la
question de la restauration d’un pouvoir théocratique se trouve
tranchée par les pouvoirs constitués ?
N’a-t-on pas vu, en 1873, l’assemblée
nationale qui, en un jour de malheur, avait été élue avec la
mission spéciale de conclure la paix, sur le point de décider,
sans mandat
, le rétablissement de la monarchie légitime,
de cette monarchie qui représentait l’alliance intime du trône et
de l’autel, l’asservissement politique et théologique du
peuple ?
Le comte de Chambord, en effet, plaçait ses
chrétiennes déclarations sous l’autorité du chef de la catholicité
qui avait condamné solennellement les erreurs du droit nouveau,
c’est-à-dire toutes les libertés ; et le pape, de son côté,
affirmait que la restauration de la monarchie légitime en France,
rendrait au régime et aux doctrines catholiques toute la puissance
des anciens jours.
L’assemblée nationale, au lieu de voter la
monarchie légitime, a fait la république à une voix de majorité, et
le comte de Chambord est descendu dans la tombe sans avoir entendu
sonner cette heure de Dieu qu’il ne se lassait pas
d’attendre ; mais il ne faut pas oublier que tout prince qui,
par force ou par ruse, se mettrait en possession du pouvoir
souverain, deviendrait fatalement, comme l’eût été Henri V, le
docile serviteur de
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