Les "Larmes" De Marie-Antoinette
lorsqu’un coup de frein triomphal mit fin à la chevauchée fantastique.
— Je vois, fit-il, que vous conduisez toujours avec la même ardeur juvénile. À Versailles aussi ?
— Bien entendu, voyons !
— Alors je commence à comprendre pourquoi vous ne vous aimez guère, vous et Lemercier, et ce n’est sûrement pas une question de nationalité.
— Ce moujik ignorera toujours le goût de la vie…
Quand Aldo tira son portefeuille pour régler la course, Karloff lui jeta un regard lourd, déplia sa grande carcasse, ôta sa blouse grise et sa casquette qu’il rangea soigneusement sous la banquette arrière où il prit un veston, des gants et un chapeau, les revêtit sous l’œil intéressé d’Aldo auquel finalement, il déclara :
— Quand je vais saluer une dame je n’ai pas coutume de faire payer celui qui m’offre ce plaisir !
Aldo ne put que s’incliner : le chauffeur de taxi venait en effet de disparaître pour faire place au seigneur qu’il avait été…
Leur entrée au jardin d’hiver fut saluée par une triple exclamation de soulagement. Triple parce qu’Adalbert était en train de partager le champagne du soir :
— Ah, enfin ! traduisit celui-ci. Nous nous demandions s’il allait falloir te porter des oranges.
— Ça te va bien de jouer les inquiets ! grogna Aldo pour mieux cacher sa joie de retrouver son vieux complice. Pourquoi n’étais-tu pas à l’inauguration ? Tu as dû recevoir un carton ?
— C’est la faute de ma voiture. Je revenais de Bruxelles où j’étais allé voir un confrère quand elle m’a laissé en panne à Beauvais. Le temps de faire venir une pièce de Paris et j’avais raté ton vernissage. Remarque, après ce qui s’est passé, je regrette sincèrement de l’avoir manqué !
— Est-ce que tu deviendrais sanguinaire en vieillissant ? Si c’est le cas tu n’auras loupé que le prologue : il y a eu un autre meurtre cet après-midi !
— Quoi ? s’écrièrent en chœur la marquise et Plan-Crépin jusque-là tout au plaisir d’accueillir le colonel Karloff.
— Eh oui ! Un jardinier cette fois, mais on pense que c’était une erreur…
Quand il eut achevé son récit, les yeux jaunes de Marie-Angéline brillaient tels des louis d’or :
— Passionnant ! C’est absolument passionnant ! Je sens que nous allons vivre des heures exaltantes !
— Je ne crois pas que vous aurez beaucoup l’occasion de les partager, soupira Aldo. Le cher commissaire désire – je ferais mieux de dire exige ! – que j’habite Versailles le temps de l’enquête. Je suis désolé, Tante Amélie, mais je vais transporter mes pénates au Trianon Palace…
— Ça c’est une idée ! exulta Karloff. Je vous ai dit tout à l’heure que je travaillais beaucoup avec l’hôtel. Ainsi je serai plus facilement à votre disposition…
— À condition que vous me laissiez payer mes courses…
Aldo eut tout à coup conscience d’un de ces silences accompagnant en général les grandes catastrophes. De fait, Plan-Crépin semblait foudroyée cependant que la marquise observait le phénomène avec amusement. Quand la vieille fille poussa une plainte douloureuse :
— Oh non ! Vous n’allez pas nous faire cela ?
Gentiment, Aldo s’approcha d’elle et lui prit la main :
— Il ne s’agit pas d’aller à l’autre bout du monde, Angelina ! En outre, vous allez pratiquement chaque jour à Trianon où vous avez encore à faire…
— … et puis, renchérit Adalbert, je pourrai vous emmener aussi souvent que vous le voudrez : ma voiture marche mieux que jamais et vous irez plus vite qu’avec…
— … mon antique carrosse ? Ayez donc le courage de vos opinions, Adalbert ! enchaîna M me de Sommières. Quant à vous, Plan-Crépin, remettez-vous, bon sang ! Ne dirait-on pas que le ciel vient de vous tomber sur la tête ?
— Ça y ressemble ! fît celle-ci en reniflant dans son mouchoir.
— Mais c’est qu’elle est capable de se mettre à pleurer ! Allons, Plan-Crépin, un peu de nerf ! Oubliez-vous que sans vos ancêtres il eût manqué quelque chose d’essentiel aux croisades ! Rappelez-moi donc votre devise !
— Dieu garde et sus à l’ennemi !
— Eh bien, voilà ! Mettez-la en pratique et pour commencer descendez à la loge téléphoner !
Rue Alfred de Vigny, l’invention de Graham Bell n’avait en effet droit de cité que chez le concierge, la marquise n’ayant jamais
Weitere Kostenlose Bücher