Les "Larmes" De Marie-Antoinette
aussitôt :
— Le colonel Karloff ! C’est ce qu’un Anglais appellerait un « morceau de chance ». Mais que faites-vous à Versailles ? demanda-t-il en se hâtant de descendre pour venir s’installer à côté de l’ancien officier de cosaques. Les deux hommes se serrèrent vigoureusement la main. Aldo était incroyablement heureux de retrouver ce – bon ! – compagnon d’une de ses plus dangereuses aventures : celle où il avait été à deux doigts de laisser sa peau {2} .
— Je viens juste de déposer un client américain à l’hôtel des ventes. C’était fermé mais il a voulu rester. Peut-être pour attendre que ça ouvre ? Ces gens-là s’imaginent toujours que le gouvernement français continue à brader le mobilier du château. Quant à moi, si je ne vous avais pas reconnu sur l’instant, j’aurais claqué mon drapeau au nez de ce foutu policier…
— Vous le connaissez ?
— Plutôt, oui ! J’ai toujours eu l’impression qu’il détestait le genre humain en entier mais avec un petit plus pour les Russes. Il faut vous dire : j’habite maintenant, pas loin d’ici, une modeste maison que ma femme a héritée d’un oncle qui la lui a fait attendre jusqu’à l’an dernier ! Cent trois ans qu’il avait le bougre quand il a vidé sa dernière bouteille de vodka ! Alors on a quitté Saint-Ouen pour s’y installer. Ça me complique bien un peu l’existence à cause de l’éloignement et je ne fais plus la nuit pour ne pas laisser Liouba seule, le coin étant retiré, mais elle est si contente d’avoir un jardin ! Moi aussi d’ailleurs ! Voisiner avec les plants de fraisiers c’est plus agréable qu’avec le marché aux Puces. Et puis je me suis fait une clientèle avec le Trianon Palace… Mais au fait, vous voulez vraiment aller quai des Orfèvres ?
— Vous avez quelque chose contre ?
— N… on ! sauf que je garde l’impression tenace que le commissaire Langlois me prend pour un vieux fou depuis qu’avec votre ami Vidal… machin, on a déboulé chez lui au petit matin après une mémorable virée à Saint-Cloud.
— Vous aviez fait un tel travail qu’il ne vous en a pas voulu longtemps. À propos, avez-vous vu Adalbert ces jours-ci ?
— Pas depuis mon déménagement. Pourquoi me le demandez-vous ? Vous ne savez pas où il est ?
— Je sais qu’il est en Belgique, sans plus ! Je ne suis arrivé qu’il y a deux jours, pour l’exposition de Trianon…
— De Trianon ?… Par saint Vladimir, vous ne changerez jamais ? s’écria Karloff en partant d’un rire homérique sous lequel tremblèrent les vitres de son taxi…
— Vous trouvez ça drôle ? Vous savez qu’il y a eu un mort… et même deux, sans compter un vol ?
Le rire s’arrêta net :
— Deux ? Ça commence bien mais si je riais c’est parce que cela ne m’étonne pas. Vous et Vidal… machin…
— Pellicorne ! Ce n’est pas si difficile !
— Si vous voulez ! Toujours est-il que vous deux avez un vrai talent pour vous fourrer dans des histoires incroyables. Qui est mort cette fois ?
— Un jardinier… mais il paraît que c’était une erreur.
Et Aldo relata tout ce qui s’était passé depuis la cérémonie d’inauguration.
— Curieuse histoire ! commenta le colonel en tiraillant sa moustache. Et que ça ait eu lieu chez Lemercier n’arrange rien. Quelque chose me dit que vous n’en avez pas fini avec lui… En revanche, si vous avez besoin d’un coup de main, n’hésitez pas ! De jour comme de nuit, je suis votre homme. Au moins vous aurez quelqu’un sur place. Je vais vous donner mon adresse…
— C’est une excellente idée ! Tout compte fait, oublions le quai des Orfèvres et rentrons rue Alfred de Vigny ! Tante Amélie sera ravie de vous voir…
— Avec enthousiasme !
Et joignant le geste à la parole, le colonel, qui roulait depuis le départ à une allure modérée – ce qui ne lui ressemblait guère ! –, appuya joyeusement sur le champignon et, poussant une sorte de cri de guerre, lança son taxi comme il eût éperonné son cheval pour charger à la tête de son régiment de furieux. Quand il embouqua le pont de Saint-Cloud avec un superbe dédain de la circulation vespérale, Aldo ferma les yeux, recommandant son âme à Dieu tout en sachant parfaitement que Karloff était aussi impétueux qu’habile conducteur. Mais on ne sait jamais ce qui vous attend au coin de la rue…
Il ne les rouvrit que
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