Les Poilus (La France sacrifiée)
années de crise.
Dès mai 1933, Hitler avait exigé l’égalité des droits dans les armements. Le 14 octobre, il avait claqué la porte de la conférence du désarmement et de la SDN. Deux mois après le triomphal plébiscite sarrois, le 10 mars 1935, Göring avait déclaré que l’Allemagne reconstituait son aviation de guerre. Le 16 mars, Hitler annonçait le rétablissement du service militaire obligatoire et la formation de 36 divisions (contre 30 françaises). Aucune riposte à Londres ou à Paris. Pas la moindre sanction imaginée à Genève. L’Allemagne pouvait réarmer au grand jour, et engager dans les armes techniques les jeunes gens formés à la discipline de fer national-socialiste.
Déjà en 1918 le lieutenant Jünger [133] expliquait que l’Allemagne saurait trouver en son sein, si elle conservait « un fond d’inaltérable énergie », les réformateurs comparables aux Stein, Blücher, Gneisenau et Hardenberg qui avaient redressé la Prusse en 1813. La supériorité d’une nation ne tenait pas à sa démographie mais à sa valeur. « Notre peuple, disait-il, n’abandonnera jamais cette conviction qu’un monde où nous ne serions pas les premiers serait un monde mal ordonné. »
Le ralliement à Hitler de la caste militaire (malgré les réticences de certains, dues au côté plébéien, cynique et « amateur » du nazisme) et du corps diplomatique, la reconversion aisée de l’industrie et l’appui des milieux d’affaires avaient permis cette guerre de revanche de 1939, qui évitait, du moins à ses débuts, les erreurs du passé, en éliminant un front sur deux par l’alliance germano-soviétique, parfaitement conforme à la politique de l’état-major de Ludendorff en 1917-1918.
La double intervention en Pologne rendait les démocraties de l’Ouest impuissantes et finalement résignées. Elles n’avaient rien vraiment tenté pour empêcher ce nouveau partage de la Pologne qui présentait pourtant le risque majeur de laisser en contact direct les empires hitlérien et stalinien, et de rendre inévitable la guerre à l’est. Il est vrai que les Allemands avaient si peu de considération pour l’Armée rouge décapitée par la purge stalinienne de 1936 qu’ils envisageaient cette idée sans effroi.
Une erreur de calcul, pourtant, dans le système de guerre nazi : il pouvait faire face à la paix armée, par une conjonction habile de la propagande, de la diplomatie et de la menace militaire, mais il était encore plus impropre à conduire à son terme une guerre mondiale que ne l’avaient été les armées du Kaiser. La guerre risquait de n’être pas l’aboutissement logique du système, mais sa condamnation, au prix, il est vrai, de soixante millions de morts civils et militaires dans le monde.
Ainsi la Seconde Guerre n’est-elle pas à ses débuts la répétition de la Première, mais sa parodie, une sorte de guerre virtuelle, sans adversaires autres que des îlots courageux, voire héroïques, de résistance. La Finlande du maréchal Mannerheim avait résisté plus efficacement à l’Armée rouge que la Pologne à l’Allemagne. La Norvège, en raison de la présence sur son sol d’un corps expéditionnaire franco-britannique, avait été seulement un peu plus difficile à vaincre que la Hollande et le Danemark où s’étaient promenés les chars de Guderian après une capitulation sans combat. La Belgique neutre avait offert un large boulevard aux forces d’invasion qui contournaient tranquillement la ligne Maginot en perçant à Sedan. Où étaient les Français de 1914 ?
Le rappel des morts de la précédente guerre est ici insuffisant pour expliquer leur défaite, car les Allemands avaient eu des pertes élevées et cependant ils étaient repartis au combat d’un cœur léger, parce que, après des mois de Sitzkrieg (guerre assise) entre les lignes, ils jugeaient en 1940 les Anglais absents et les Français anesthésiés.
Les généraux comptaient sur le déluge conjugué des chars et des stukas pour provoquer la surprise, et à court terme la capitulation. Hitler n’avait pas devant lui Clemenceau et Lloyd George, mais Chamberlain et Daladier ; pas Joffre, mais le valétudinaire Gamelin. Les quelque cent mille morts français au combat de mai-juin 1940 avaient pu être héroïques, ils étaient noyés dans la marée des deux millions de prisonniers et les Britanniques s’étaient retirés sans attendre, ménageant à l’extrême leurs forces
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