Les Poilus (La France sacrifiée)
[134] et réussissant à rembarquer à Dunkerque grâce en particulier au sacrifice de l’armée française du général Prioux et à l’héroïsme des pilotés français qui devaient soutenir de leurs interventions incessantes les efforts des aviateurs de la RAF et abattre seuls plus de huit cents avions ennemis.
Intoxiqués par la propagande allemande, par le pacifisme d’un autre âge et désorientés par le pacte germano-soviétique, inquiets de leur quasi-solitude contre la puissante armée allemande, les Français n’avaient pas eu le réveil de la Marne mais seulement sa triste parodie, avec la venue au pouvoir des deux survivants de 1914, le généralissime Weygand et le ministre Pétain. Qui pouvait encore penser à un Verdun ? En arrêtant ses chars à portée de Dunkerque, Hitler s’était flatté de l’illusion de gagner l’Angleterre à la paix. L’attentisme anglais et les menées souterraines de lord Halifax et des apaiseurs l’encourageaient-ils dans cette voie ? La nouvelle bataille de la Marne se livrerait pourtant en avion, au-dessus de l’Angleterre, pendant l’été de 1940. Hitler n’avait pas prévu Churchill.
Maître de l’Europe sans perdre une seule division, il n’aurait que des frais d’essence pour s’emparer des Balkans, jusqu’à enlever la Grèce aux Anglais, au prix de pertes il est vrai un peu plus élevées, surtout dans les rangs des soldats grecs. Il avait gagné son pari. Les Soviétiques laissaient faire, les États-Unis, pris par le puissant courant isolationniste et pro-allemand, et peut-être aussi par le poids des investissements gelés en Allemagne depuis les années 20 et 30, n’intervenaient pas [135] . Les Anglais se retiraient sur leur île sans armements.
La guerre virtuelle, grâce à la supériorité du matériel et à l’entraînement intensif d’un petit nombre d’unités modernes, avait confirmé les prédictions de Jünger vingt ans plus tôt : la victoire n’était pas une affaire de supériorité démographique ni même industrielle, mais de résolution, de préparation, de réunion de tous les moyens en une seule main.
Aux lourdes armées du Kaiser, on avait substitué les armes techniciennes et psychologiques du Blitzkrieg, on avait prouvé que le génie allemand pouvait, sans efforts, s’emparer d’un continent. Ainsi la Seconde Guerre n’était nullement la reprise de la Première, mais, en 1940, la rectification de ses erreurs mûrement préparée par vingt ans d’investissements continus, seulement confirmés et amplifiés par le nazisme.
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L’Allemagne privée de colonies avait pu s’ouvrir largement les portes d’un vaste marché européen pour nourrir la guerre autrement que par les ressources de l’autarcie, qui lui avaient cependant permis de mettre au point une machine efficace de combat, avec la prédation délibérée de la fortune juive d’Autriche et d’Allemagne. Les maîtres de l’économie allemande ne comptaient pas pour l’heure sur les débouchés commerciaux, puisque l’industrie s’était largement reconvertie vers la guerre, mais sur le droit de conquête pour développer les fabrications militaires sur une grande échelle.
On avait hésité à diviser l’Allemagne en États séparés lors de la victoire de 1918. Hitler avait immédiatement rattaché au Reich l’Alsace et la Lorraine, bien qu’il n’en eût pas été question dans les conditions d’armistice de juin 1940, et défini trois espaces français : la zone interdite industrielle et minière du Nord et du Nord-Est rattachée à la Belgique, mise elle-même en coupe réglée, la zone occupée au nord de la Loire, la zone dite libre du gouvernement de Vichy.
On avait trouvé trop lourdes les réparations demandées à l’Allemagne pour les pays envahis de 1914 : Hitler exigeait de Vichy une indemnité d’occupation non négociable de quatre cents millions de francs par jour. La France n’avait pas la liberté de ses échanges. Ses navires marchands ne pourraient naviguer sans autorisation. Elle devrait assurer le transport en transit des marchandises entre l’Allemagne et l’Italie, empêcher tout transfert de valeurs des zones occupées vers la zone libre et l’étranger. Elle était responsable de la mise en sécurité des objets de valeur destinés à l’Allemagne, par exemple des biens juifs confisqués. Les occupants avaient toute latitude d’acheter en France les propriétés industrielles ou commerciales et
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