Les Poilus (La France sacrifiée)
l’est. Ce « sacrifice » n’avait, disait-il, qu’une portée morale car l’Allemagne était hors d’état, à ce moment, de tenter une guerre de revanche. Briand avait accepté ce système de sécurité incomplet dans l’espoir d’obtenir pour la France la garantie britannique, que Chamberlain refusait d’étendre aux frontières de la Pologne et de la Tchécoslovaquie.
Après ce premier succès, qui rendait possible la « rationalisation » des grandes entreprises, grâce à l’afflux des capitaux anglo-saxons, Stresemann demandait immédiatement à Briand, lors de l’entrevue de Thoiry en septembre 1926, la suppression de la mission militaire instaurée après Versailles et chargée de contrôler le désarmement allemand et la restitution de la Sarre. En juillet 1928, il allait plus loin, arguant du « droit moral » de l’Allemagne à obtenir l’évacuation anticipée des territoires rhénans après l’adoption du plan Young.
Stresemann, en voyage à Paris lors de la négociation Briand-Kellog sur le désarmement, avait obtenu une promesse de Poincaré. Le retrait des troupes françaises était effectif dès juin 1930. Le 20 juillet 1930, le président Hindenburg portait un coup fatal à la politique pacifiste de Briand (pas du tout partagée par Stresemann) quand il déclarait que l’Allemagne aurait le droit de réarmer si la limitation générale des armements n’était pas obtenue. Il ajoutait que le statut de démilitarisation de la Rhénanie serait bientôt unilatéralement abrogé. Briand, peu de temps avant de mourir, dénonçait à Genève les « cris de haine » qui montaient en Allemagne.
Hindenburg avait parlé… et non Hitler. Devenu chancelier en 1933, le chef nazi n’aurait qu’à coiffer les appareils de l’État de « laquais » nazis comme Keitel pour les utiliser au plus juste. L’épuration du haut commandement les rendrait dociles. Les robots galonnés de l’état-major étaient en parfait état de marche.
L’activisme nazi permettait de passer, par étapes successives, à la réalisation d’un programme de révision non pas seulement des clauses occidentales mais de toute l’Europe de Versailles assuré par le seul concours de la puissance industrielle et militaire allemande. La réponse nulle des « démocraties » aux coups de bluff permettait au dictateur d’accumuler les succès. Il devait en effet asseoir à peu de frais sa popularité par l’anéantissement progressif, dans l’Europe centrale et danubienne, des clauses des traités de paix, jusqu’à la conférence du Belvédère à Vienne, où il redresserait seul, après Munich, et dans la soumission totale des nations de l’Atlantique, la carte des Balkans, rectifiant les traités de Neuilly et de Trianon. Revanche diplomatique, encore non sanglante, mais soutenue par un effort de réarmement clandestin entrepris aux lendemains mêmes de la paix, avec la complicité de l’URSS et des pays neutres, volontiers donneurs de leçons pacifistes, la Suisse et la Suède.
Il avait parfaitement prouvé aux Allemands les plus sceptiques, aux généraux les plus réticents, aux ambassadeurs les plus timorés, que les puissances démocratiques étaient à ce point affaiblies, saignées par la guerre, qu’elles seraient incapables de s’opposer au retour de l’Allemagne, par une série de bluffs heureux, comme puissance dominante en Europe et de réaliser sans trop de pertes les objectifs de développement des pangermanistes de 1913.
Il était loin, le temps de Rapallo. L’Allemagne n’avait plus besoin de se cacher pour réarmer. La « volonté nationale » assurée par la dictature appuyée sur les équipes de la Gestapo éliminait toutes les oppositions intérieures qui pouvaient encore se manifester au Reichstag de 1917 en pleine guerre, sous le règne de Guillaume II. Aucune opposition n’était désormais possible, sinon par le complot.
Dans l’autocratie hitlérienne, le rêve de guerre totale redevenait une réalité, sans que le souvenir des deux millions de morts de la Première pût devenir un argument suffisant de rejet pour la nation. La sacralisation des héros tombés au champ d’honneur, associés aux nazis victimes d’attentats, veillait à l’entretien du moral guerrier. Les industriels ne songeaient nullement à combattre la reconversion vers la fabrication militaire que leur imposait l’État. Ils en attendaient des profits immédiats, non négligeables dans les
Weitere Kostenlose Bücher