Les Poilus (La France sacrifiée)
blanche » qui favorise « la naissance d’un État africain sur le sol de l’Europe », d’un « immense territoire de peuplement autonome s’étendant du Rhin au Congo ». L’Allemagne « sera une puissance mondiale ou bien elle ne sera pas », non en englobant des populations inférieures comme les Slaves et les « Africano-Européens » dans son espace vital à égalité de droits, mais en les réduisant à merci pour faire place nette, en devenant la « puissance de la terre » dont parlent déjà les modernes géopoliticiens allemands, inspirateurs du futur Führer.
Cet espace n’est pas le rêve d’un illuminé, emprisonné pour tentative de putsch en 1924. Les armées allemandes du quartier-maître général Ludendorff l’occupaient effectivement huit ans plus tôt après l’écroulement de la Russie tsariste. L’état-major s’était bien gardé, lors de l’offensive vers l’Est du 18 février 1918, de marcher sur Moscou et Pétersbourg et de balayer le pouvoir bolchevik. Les unités n’avaient pas dépassé Minsk en Russie blanche, elles s’étaient arrêtées sur une ligne prédéterminée Narva-Pskov-Polotsk-Mohilev-Gomel. Le Baltikum, corps de von der Goltz, tenait la Baltique, Memel, Riga et Dantzig et la Finlande avec l’aide des volontaires de Karl Gustav Mannerheim.
Gardant sur le sol russe trente-sept divisions qui lui manqueraient cruellement dans ses offensives vers l’ouest, Ludendorff traçait un axe double de pénétration en direction des champs de blé et de pétrole. La Roumanie était conquise, son armée défaite. On lui attribuait la Bessarabie russe, riche en blé, pour l’arrimer à la machine de guerre allemande. Le financement des puits de pétrole roumains était à 56 % allemand, à 44 % austro-hongrois. La flotte anglaise du Danube était captive, utilisée par les vainqueurs. Un armistice était signé avec les Roumains le 5 mars 1918, qui livrait le pays à l’administration de guerre allemande.
L’armée poursuivait son avance vers les terres à blé d’Ukraine. Les dix-huit divisions du groupe Eichhorn occupaient Kharkov et la Crimée, puis Rostov-sur-le-Don pour empêcher toute descente des bolcheviks vers le Caucase. Si Ludendorff ne pouvait s’emparer des puits de Bakou, disputés entre les Russes, les Anglais et les Turcs, von Lossov investissait la Géorgie devenue comme l’Ukraine protectorat. Les Allemands affirmaient ainsi leurs prétentions sur le pétrole de Bakou, au moment où les Anglais affermissaient leur pouvoir sur les puits de l’Iran et occupaient l’Irak, engageant au Proche et au Moyen-Orient deux armées totalisant quatre cent mille hommes. Pétrole et blé, les objectifs géostratégiques de Hitler en 1941, étaient les mêmes que ceux de Ludendorff en 1918.
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Ludendorff, dans ses offensives à l’ouest, avait pour absolue priorité d’anéantir l’armée britannique, parce qu’il considérait la Grande-Bretagne comme sa principale ennemie. Battue en Picardie et dans les Flandres, elle n’aurait plus les moyens de défendre ses objectifs stratégiques en Orient. Quant aux Français, ils ne pourraient plus poursuivre la guerre sans leur allié et les renforts américains arriveraient trop tard.
Le même calcul est celui de Hitler en 1940. Il faut d’abord imposer la paix à l’Angleterre, avant d’entreprendre la conquête de la terre centrale jugée essentielle dans Mein Kampf. Quand échouent l’offensive aérienne de l’été et le projet de débarquement en Angleterre, il semble s’être efforcé en vain d’obtenir une paix séparée lors du parachutage de Rudolf Hess sur le territoire britannique. Il dut se retourner en juin 1941 contre l’Est sans avoir abattu la Grande-Bretagne.
La carte de guerre de 1918 se reproduit presque exactement en 1942 quand Hitler donne l’ordre, le 21 août 1941, contre l’avis de Guderian, de foncer vers l’Ukraine et le Caucase. « L’objectif le plus important, dit-il, n’est pas la prise de Moscou mais la conquête de la Crimée. » Moscou n’est pas prise, pas plus que Leningrad, mais la Wehrmacht occupe bientôt l’Ukraine, la Crimée, et le Donetz. La campagne d’été de 1942 porte les armées allemandes sur des chemins qui lui sont familiers, ceux du Caucase, par Rostov-sur-le-Don.
Comme en 1918, elles ne peuvent s’emparer des puits de pétrole de Bakou, malgré le renfort de divisions roumaines, italiennes, hongroises, et même slovaque et
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