L'Espion - Un épisode de la guerre d'indépendance
l’office, et me dit que le colonel Singleton n’était nullement un parti méprisable, et que la vente de son habitation en Géorgie lui avait valu ma foi, je ne me souviens plus combien.
– Rien n’est plus probable, répondit le capitaine ; Katy Haynes sait calculer à ravir.
Ils s’étaient arrêtés pendant cette conversation, et semblaient incertains s’ils devaient quitter leur nouveau compagnon.
Le vieillard écoutait chaque mot qui sortait de leur bouche avec le plus vif intérêt ; mais vers la fin de ce dialogue, son air d’attention fit place à un sourire secret. Il secouait la tête, passait la main sur son front, et semblait penser à un temps déjà bien éloigné. Mason ne fit que peu d’attention à l’expression de ses traits, et continua :
– Oui, elle calcule bien, et je crois que ses calculs ont quelquefois pour but son propre intérêt.
– Si elle a quelque égoïsme, c’est sans nuire à personne, dit Dunwoodie en souriant, comme s’il se fût rappelé quelques événements passés. Ce qu’elle a de particulier, c’est son aversion pour les nègres. Elle dit qu’elle n’en a jamais connu qu’un qui lui ait plu.
– Et qui était-il ?
– Il se nommait César, et il appartenait à feu mon aïeul M. Wharton. Je ne crois pas que vous puissiez vous le rappeler, car il est mort la même année que son maître, quand nous étions encore enfants. Katy chante tous les ans son requiem, et je crois, ma foi, qu’il le mérite. J’ai entendu dire qu’il a aidé mon oncle l’Anglais, comme nous nommons le général Wharton, à se tirer d’un grand danger dans l’ancienne guerre. Ma mère ne parle jamais de lui qu’avec affection. César et Katy sont venus avec elle en Virginie lors de son mariage. Ma mère était…
– Un ange ! s’écria le vieillard avec une énergie et une vivacité qui fit tressaillir les deux officiers.
– Vous l’avez donc connue ? s’écria Dunwoodie les yeux rayonnants de plaisir.
Le bruit soudain et redoutable de l’artillerie interrompit la conversation. Des décharges de mousqueterie y succédèrent, et en quelques instants l’air fut rempli du tumulte du combat.
Les deux amis coururent avec précipitation vers leur camp, accompagnés de leur nouvelle connaissance. L’intérêt qu’ils prenaient à ce qui se passait, et l’impatience qu’ils avaient d’arriver, ne leur permirent pas de renouer l’entretien, et tous trois se dirigèrent vers l’armée, faisant des conjectures sur la cause de cet engagement, et sur la probabilité qu’il deviendrait général. Pendant leur marche, qui fut courte mais rapide, le capitaine Dunwoodie jeta plusieurs regards d’affection sur le vieillard, qui marchait avec une vitesse étonnante pour son âge, car l’éloge que cet étranger venait de faire d’une mère qu’il adorait avait ouvert son cœur en sa faveur. Ils rejoignirent bientôt le régiment dont les deux officiers faisaient partie, et le capitaine, serrant la main du vieillard, le pria instamment de s’informer le lendemain matin où il pourrait le trouver, et de venir le voir dans sa tente, après quoi ils se séparèrent.
Tout annonçait dans le camp américain qu’on touchait à l’instant d’une bataille. À quelques milles de distance, le bruit du canon et de la mousqueterie se faisait entendre par-dessus celui de la cataracte. Les troupes furent bientôt mises en marche, et l’on fit un mouvement pour soutenir la division qui était déjà engagée. La nuit était tombée avant que la réserve et les troupes irrégulières eussent atteint le pied de Lundy’s-Lane, chemin qui, s’éloignant de la rivière, passe sur une éminence de forme conique, à peu de distance de la grande route conduisant au Niagara. Le sommet de cette hauteur était couronné par une batterie anglaise, et dans la plaine au-dessous étaient les restes, de cette intrépide brigade écossaise qui avait longtemps soutenu un combat inégal avec une bravoure distinguée. On lui opposa une nouvelle ligne, et une brigade américaine fut chargée de gravir la montagne parallèlement à la route. Cette colonne prit les Anglais en flanc, et les attaquant à la baïonnette, elle s’empara de la batterie. Les Américains furent joints aussitôt par leurs camarades, et l’ennemi fut débusqué de la hauteur. Mais le général anglais recevait des renforts à chaque instant, et ses troupes étaient trop braves pour céder si facilement la
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