L'hérétique
plus important que celui de Nieulay,
déjà disposé sur un terrain ferme en bordure du campement ennemi.
Affamés et désespérés, les habitants de Calais avaient aperçu
les bannières françaises sur la crête sud. En réponse, ils avaient accroché
leurs propres drapeaux sur les remparts, mais également des images de la
Vierge, des représentations de saint Denis de France et, tout en haut de la
citadelle, l’étendard royal jaune et bleu pour indiquer à Philippe que ses
sujets étaient encore en vie et continuaient de se battre. Toutefois, cette
courageuse démonstration ne changeait rien au fait qu’ils étaient assiégés
depuis déjà onze mois. Ils avaient besoin d’aide.
— Prenez la tour, Sire, le pressa Geoffrey, puis
traversez le pont et attaquez ! Par le Christ, si ces maudits Anglais nous
voient remporter une victoire, ils seront peut-être déstabilisés !
Un grommellement collectif ponctua l’assentiment des
seigneurs assemblés.
Le roi se sentait quant à lui beaucoup moins optimiste.
Assurément, la garnison de Calais tenait encore et si les Britanniques avaient
sévèrement endommagé ses murailles, ils n’étaient pas parvenus à franchir les
doubles douves. Mais les Français n’arrivaient pas davantage à faire passer du
ravitaillement aux assiégés. Les Calaisiens n’avaient pas besoin
d’encouragements : ils avaient besoin de nourriture. Au-delà du camp, une
colonne de fumée apparut sur le ciel morne et, quelques secondes plus tard, le
grondement d’un canon roula au-dessus des marais. Le projectile avait dû
frapper le mur, mais Philippe se trouvait beaucoup trop loin pour en voir les
effets.
— Une victoire ici encouragera la garnison, insista le seigneur
de Montmorency, et elle désespérera les Anglais.
Vraiment ? Pourquoi les Anglais devraient-ils donc se
désespérer si la tour de Nieulay tombait ? se demanda Philippe.
Au contraire, il estimait qu’une telle circonstance ne
ferait que les convaincre davantage de la nécessité de défendre la route de
l’autre côté du pont. Néanmoins, le roi était également conscient qu’il
n’allait pas pouvoir tenir longtemps en laisse ses chiens enragés alors que
l’ennemi tant haï se trouvait en vue. Si bien qu’il finit par donner son
accord :
— Prenez la tour, ordonna-t-il, et que Dieu vous donne
la victoire !
Immobile, le roi regarda ses seigneurs courir rassembler
leurs hommes et s’armer. Le vent montant de la mer charriait des effluves
salés, mais aussi des relents de flétrissure qui émanaient probablement
d’herbes ou d’algues se décomposant sur les longs rivages baignés par la marée.
Philippe se sentit soudain envahi d’une grande mélancolie. Son nouvel
astrologue évitait de se présenter devant lui depuis des semaines. Le mage
invoquait une mauvaise fièvre, mais le souverain avait appris que l’homme était
en parfaite santé. Cette esquive ne pouvait signifier qu’une chose : le
devin avait vu dans les étoiles quelque grand désastre et craignait de
l’annoncer au roi. Les mouettes criaient sous les nuages bas. Loin en mer, une
voile morne mettait le cap sur l’Angleterre. Un autre navire était à l’ancre
devant les plages tenues par les Anglais. Des petits canots débarquaient les
hommes qui venaient encore gonfler les rangs ennemis. Philippe se tourna vers
la route et avisa un parti de quarante ou cinquante chevaliers anglais
progressant vers le pont. Il se signa en priant pour que les cavaliers
approchant soient capturés par la charge française. Il détestait les Anglais.
Il les haïssait.
Le duc de Bourbon avait délégué l’organisation de l’assaut à
messire Geoffrey de Charny et à Édouard de Beaujeu. C’était un bon choix. Le
roi estimait que les deux hommes avaient la tête sur les épaules et il leur
faisait confiance. Sans le moindre doute, ils pouvaient prendre la tour, même
si Philippe ne parvenait toujours pas à percevoir l’avantage qui pourrait en
découler. Enfin, supposait-il, il valait mieux autoriser une attaque structurée
plutôt que de laisser ses nobles les plus impétueux se précipiter vers le pont,
lance en avant, dans une charge sauvage et désordonnée, pour aller se faire
prendre ou massacrer dans les marais. Il ne savait que trop que ces têtes
brûlées adoreraient une telle offensive. Tous ces seigneurs pensaient que la
guerre n’était qu’un jeu, et chaque défaite ne faisait que les rendre plus
impatients de
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