L'hérétique
rejouer.
Des fous ! songea-t-il. Il se signa de nouveau en se
demandant quelle damnée prophétie pouvait bien lui dissimuler l’astrologue. Ce
dont nous avons besoin, se dit-il, c’est d’un miracle, que Dieu nous adresse un
signe éclatant…
Il sursauta en entendant un musicien frapper sa grande
nacaire [4] .
Une trompette retentit.
Le bruit n’annonçait pas la mise en branle. Les musiciens se
préparaient à l’attaque en chauffant simplement leurs instruments. Édouard de
Beaujeu était parti se positionner sur la droite, là où il avait rassemblé plus
d’un millier d’arbalétriers et autant de fantassins. Il entendait clairement
attaquer les Anglais par le flanc, tandis que Geoffrey de Charny et au moins
cinq cents hommes d’armes dévaleraient la colline pour frapper de front le
retranchement ennemi. Messire Geoffrey, précisément, remontait ses lignes à
grands pas. Il hurlait à ses chevaliers et à ses soldats de descendre de
cheval. Les hommes s’exécutaient à contrecœur. Pour eux, l’essence de la
guerre, c’était la charge de cavalerie. Mais Charny savait que les chevaux
étaient inutiles contre une tour de pierre protégée par des tranchées, et il
ordonnait donc le combat à pied.
— Écus et épées ! leur criait-il. Pas de
lances ! À pied ! À pied !
Messire Geoffrey avait appris de la plus cuisante façon que
les chevaux étaient effroyablement vulnérables face aux flèches anglaises,
tandis que des fantassins pouvaient progresser, accroupis derrière de solides
écus. Quelques-uns des chevaliers de haut lignage se refusèrent quand même à
mettre pied à terre. Il les ignora. Dans le même temps, d’autres soldats
français avides d’en découdre accouraient pour se joindre à la charge.
La petite colonne de cavaliers anglais parvenait maintenant
au bout du pont, côté français. Sans s’arrêter, ils s’engagèrent droit devant
eux, comme s’ils voulaient affronter toute la ligne de bataille ennemie à eux
seuls. Puis, brusquement, ils immobilisèrent leurs montures et levèrent les
yeux vers la horde positionnée sur la crête. Le roi scruta le petit parti
adverse. Comme le trahissait la taille de la bannière de l’un des cavaliers,
ils étaient menés par un grand seigneur qu’il ne parvenait toutefois pas à
identifier à cette distance. Une dizaine d’autres chevaliers arboraient des
étendards carrés de bannerets [5] à l’extrémité de leurs lances.
Voilà bien un équipage de valeur, songea le souverain, dont
la rançon rapporterait une petite fortune.
Philippe espéra qu’ils poursuivraient jusqu’à la tour, qui
n’était plus distante que de quelques dizaines de mètres, et se piégeraient
eux-mêmes.
Il tourna alors son attention vers un cavalier qui trottait
vers lui. Le duc de Bourbon, revêtu d’une armure étincelante. À force d’avoir
été frottée de sable, de vinaigre et de paille de fer, elle brillait au point
de paraître blanche. Au pommeau de sa selle pendait son heaume orné de plumes
teintes en bleu. Le duc faisait partie de ceux qui avaient refusé de descendre
de cheval. Un chanfrein d’acier protégeait la tête de son destrier tandis
qu’une cotte de mailles scintillante bardait son corps contre les traits des
archers anglais qui bandaient assurément déjà leurs arcs dans les tranchées.
— L’oriflamme, Sire ! lança le seigneur.
La requête sonnait presque comme un ordre.
— L’oriflamme ?
Le roi faisait mine de ne pas avoir compris.
— Sire, puis-je avoir l’honneur de la porter au
combat ? précisa son vassal.
Le souverain soupira.
— Vous surpassez numériquement l’ennemi à dix contre
un, considéra-t-il. Vous n’avez pas franchement besoin de l’oriflamme.
Laissez-la ici. L’ennemi la verra aussi bien.
Les Anglais savaient parfaitement ce que signifiait la
bannière déployée. Elle ordonnait aux Français de ne pas faire de prisonniers,
de tuer tout le monde, même s’il ne faisait aucun doute que les puissants
chevaliers ennemis étaient, dans tous les cas, plutôt capturés, un cadavre ne
valant rien en termes de rançon. Quoi qu’il en soit, la flamme sacrée pouvait
instiller la terreur dans le cœur des ennemis.
— Elle restera là, insista le roi.
Le duc s’apprêtait à protester, quand une trompette
retentit. Les arbalétriers s’ébranlèrent et commencèrent à descendre la
colline. Ils portaient des tuniques vert et rouge ornées de l’écusson grêlé
Weitere Kostenlose Bücher