L'industrie de l'Holocauste Reflexion sur l'exploitation de la souffrance des juifs
d'inconvénients » mais plutôt « sans
traite l'œuvre abondante de Wiesel dans un malheureux paragraphe qui contient cet éloge : « Le premier livre d'Elie Wiesel, La Nuit, est écrit simplement et sans indulgence rhétorique. » « Il n'y a rien eu de valable depuis La Nuit, pense aussi le critique littéraire Alfred Kazin. Elle n'est maintenant qu'un acteur. Il m'a dit qu'il était un "lecteur de l'angoisse" » (Irving Howe, « Writing and the Holocaust », New Republic [27 octobre 1986] ; Alfred Kazin, « A Lifetime Burning in Every Moment », New York, 1996, p. 179)
3. New York : 1999. Norman Finkelstein, "Uses of the Holocaust", London Review of Books, 6 January 2000
préoccupation des conséquences"^ ». Les sources suggèrent plutôt le contraire.
À l'origine, mon intérêt pour l'holocauste nazi était personnel. Mes deux parents étaient des survivants du ghetto de Varsovie et des camps de concentration nazis. À part mes parents, tous les membres de ma famille, des deux côtés, ont été exterminés par les nazis. Mon souvenir le plus ancien, pour ainsi dire, de l'holocauste nazi, c'est ma mère, collée à l'écran de télévision pour le procès d'Adolf Eichmann (1961), quand je rentrais de l'école. Bien qu'ils aient été libérés des camps seulement seize ans avant le procès, dans mon esprit un abîme infranchissable a toujours séparé les parents que je connaissais de cela. Il y avait des photos de ma famille maternelle au mur du salon (après la guerre, il ne restait aucune photo de la famille de mon père). Je n'ai jamais pu appréhender réellement quel était mon lien avec eux, sans parler de me représenter ce qui était arrivé. C'étaient le frère, les sœurs et les parents de ma mère et non mes tantes, mon oncle et mes grands-parents. Je me souviens d'avoir lu, étant enfant, The Wall de John Hersey et Mila 18 de Léon Uris, des récits romancés du ghetto de Varsovie. (Je me souviens encore de ma mère se plaignant d'avoir raté sa station de métro parce qu'elle était plongée dans The Wall). J'avais beau essayer, je ne pouvais pas un seul instant faire le saut en imagination qui m'aurait permis d'associer mes parents, des gens ordinaires, avec ce passé. Et franchement, aujourd'hui encore je ne peux pas. Le point le plus important, cependant, est ceci : à part cette présence fantomatique, je ne me souviens pas que l'holocauste nazi se soit jamais manifesté pendant mon enfance. La raison principale en était que personne, en dehors de ma famille, ne semblait se préoccuper de ce qui s'était passé. Mes amis d'enfance dévoraient des livres et discutaient passionnément de l'acutalité. Cependant, honnêtement, je n'ai pas le souvenir d'un seul ami (ou parent d'ami) posant la moindre question au sujet de ce que mon père et ma mère avaient subi. Il ne s'agissait pas là d'un silence déférent mais simplement d'indifférence. Dans cette optique, on ne peut être que sceptique devant les torrents d'angoisse des années suivantes, après l'établissement solide de l'industrie de l'holocauste.
Parfois, je pense que la « découverte » de l'holocauste nazi par les juifs américains est pire que son oubli. Il est vrai que mes parents souffraient en silence ; les souffrances qu'ils avaient subies n'étaient pas reconnues publiquement. Mais cela ne valait-il pas mieux que l'exploitation actuelle, éhontée, du martyre juif? Avant que l'holocauste
4. Novick, The Holocaust, p. 3 à 6
nazi ne devienne l'Holocauste, il n'y avait eu que quelques études universitaires et quelques volumes de mémoires publiés sur la question, par exemple La Destruction des juifs européens de Raul Hilberg et Prisonniers de la peur d'Ella Lingens-Reiner. Mais cette petite collection de joyaux était plus précieuse que les rayons entiers de baratin qui tapissent aujourd'hui les bibliothèques et les librairies.
À la fin de leur vie, mes parents, l'un comme l'autre, tout en revivant tous les jours le passé, et ce jusqu'à leur mort, avaient perdu tout intérêt pour le spectacle public de l'holocauste. Un des plus vieux amis de mon père était un de ses anciens camarades d'Auschwitz, un idéaliste de gauche, apparemment incorruptible, qui avait refusé le principe même des compensations allemandes après la guerre. Finalement, il devint directeur du musée israélien de l'holocauste, Yad Vashem. Malgré lui et avec une déception sincère, mon père en vint à admettre que même cet homme
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