Lionel Lincoln (Le Siège de Boston)
PRÉFACE DE LA NOUVELLE ÉDITION DE LIONEL LINCOLN
Peut-être il n’y a pas de pays dont l’histoire prête moins à la poésie que celle des États-Unis d’Amérique. L’imprimerie était en usage longtemps avant l’établissement des premiers colons, et la politique des provinces et des États fut toujours d’encourager la propagation des lumières. Il n’y a donc pas dans toute l’histoire d’Amérique un fait obscur, et il n’y en a pas même de douteux ; tout est non seulement connu, mais si bien et si généralement connu, qu’il ne reste rien à embellir pour l’imagination d’un auteur. Il est vrai que le monde est tombé dans ses erreurs ordinaires relativement à des réputations individuelles, prenant pour guide les actions les plus frappantes et les plus facilement comprises, afin d’établir des conséquences sur lesquelles il se fonde pour appuyer un jugement, tandis que celui qui a profondément étudié la nature humaine sait que les défauts et les qualités les plus opposés se disputent souvent le même cœur. Mais le rôle du poète n’est point de détruire ces erreurs, car il n’y a pas de maladresse plus promptement suivie de châtiment que la tentative d’instruire des lecteurs qui ne veulent être qu’amusés. L’auteur connaît cette vérité par expérience, ainsi que par les difficultés qu’il rencontra en écrivant cet ouvrage, le seul ouvrage historique qu’il se soit permis ; et par la manière dont il fut reçu dans le public. Il a prouvé qu’il ne dédaignait pas l’opinion de ce dernier en discontinuant des tentatives dont l’inutilité lui avait été si clairement, quoique si poliment prouvée.
Lorsqu’un auteur de romans peut violer l’ordre des temps, choisir des coutumes et des événements dans différents siècles, et en faire sa propriété légitime, il ne doit accuser de son manque de succès que son défaut d’intelligence et de talent. Mais lorsque les circonstances sont opposées à ses succès, il lui est permis de dire, pour sa propre justification, surtout lorsqu’il admet ses erreurs en se rétractant, que sa principale faute est d’avoir tenté l’impossible.
Bien que l’auteur de cet ouvrage admette franchement que Lionel Lincoln n’est pas ce qu’il espérait qu’il serait lorsqu’il commença sa tâche, il pense cependant qu’il n’est pas sans quelques droits à l’attention du lecteur. Les batailles de Lexington et de Bunker’s Hill et le mouvement sur Prospect-Hill sont aussi exactement décrits que pouvait le faire un homme qui n’avait pas été témoin oculaire de ces importants événements. L’auteur n’épargna aucune peine en examinant les documents, soit anglais, soit américains, et consulta bien des autorités particulières avec un ferme désir de parvenir jusqu’à la vérité. Le terrain fut visité et examiné avec soin, et les différentes relations furent balancées par une comparaison sévère avec les probabilités. L’auteur ne s’en tint pas là ; il se procura même un journal de l’état du temps, et respecta minutieusement, dans son ouvrage, les variations de l’atmosphère. Ainsi, celui qui prend intérêt à tous ces détails peut être assuré que tout ce qu’il lira dans Lionel Lincoln sur ces faits particuliers est de la plus parfaite exactitude. Au moment où parut cet ouvrage, les faiseurs de Revues ont donc eu tort de reprocher à l’auteur son indifférence pour les lois de la nature, en mettant trop souvent en scène le clair de lune. Le critique, dans son zèle, oubliait le fait matériel, que le cours de la lune change de mois en mois ; il se souviendra maintenant que le journal météorologique était sous les yeux de l’auteur, pendant tout le temps où il fut occupé de ce roman.
Les ouvrages d’imagination sont rarement compris, même par ceux qui ont toute l’habileté nécessaire pour les juger. Un article, certainement très-favorable au livre, si l’on considère ses mérites, contenait la remarque que la conception et le dessin des caractères de l’idiot et du fou avaient dû donner beaucoup de peine à l’auteur. Il sera donc juste d’ajouter que Job Pray et Ralph sont des hommes que l’auteur a connus, et qu’il a conservé jusqu’à leur langage, autant que la narration le lui permettait.
Lionel Lincoln , comme la plupart des ouvrages du même auteur, fut imprimé primitivement sur un manuscrit qui n’avait point été recopié, sujet à
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