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Mathieu et l'affaire Aurore

Mathieu et l'affaire Aurore

Titel: Mathieu et l'affaire Aurore Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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table étaient vides.
    - Je ne suis pas venu te quêter un repas. Je suis ici en tant que juge de paix.
    Les rires s’éteignirent, les sourires disparurent. Le cultivateur occupait un bout de la longue table et sa femme, l’autre. Entre eux, de part et d’autre, six enfants prenaient place sur des bancs. Seize yeux demeuraient rivés sur lui.
    — Qui est Alfred ?
    Un garçon blond d’une douzaine d’années regarda sa mère, soudainement inquiet.

    — C’est lui, déclara le père.
    — Je peux lui parler une minute ? Je veux tirer quelque chose au clair.
    — Pourquoi pas... si je peux rester là, bien sûr.
    Le juge de paix écarta les bras de son corps, puis déclara :
    — Si tu veux bien ne pas fumer le mauvais tabac que tu cultives sur ton tas de fumier, ta présence me fera plaisir.
    La remarque détendit un peu l’atmosphère.
    — Allez dans le salon, suggéra la mère.
    Pendant que les deux hommes et le garçon passaient dans le corps principal de la maison, elle continua pour le reste de sa marmaille : .
    — Les filles, vous m’aidez à desservir et à laver la vaisselle.
    Les autres, il reste une petite heure de lumière pour sarcler le jardin.
    Oréus Mailhot pénétra bientôt dans une pièce trop bien ordonnée pour qu’elle serve souvent. Seul le curé, et certains autres visiteurs triés sur le volet, devaient profiter des lieux.
    — Prends le fauteuil, décida le chef de famille.
    Lui-même s’assit du bout des fesses sur un divan étroit, tellement il tenait à préserver le revêtement de tissu fleuri.
    Il fit signe à son garçon de prendre place près de lui.
    — Alors qu’est-ce qui t’amène? demanda le père.
    C’est en fixant le fils dans les yeux qu’il commença.
    — Alfred, tout à l’heure, ton oncle Télesphore et ta tante Marie-Anne sont venus au magasin. Selon eux, tu as jeté une grosse pierre sur le pied de leur fille, Aurore.
    — ... Ce n’est pas vrai !
    Il ouvrait de grands yeux bleus. A douze ans, le travail de la ferme en avait fait un petit colosse aux épaules déjà bien découpées. Bâti comme cela, il pouvait faire un mauvais sort à n’importe quelle petite fille, et même à une grande.
    Selon eux, tu étais avec le jeune Bédard. Eugène.
    — Non, ce sont des menteries.
    - Peut-être est-ce arrivé en jouant, sans même faire exprès, insista le marchand.
    — Sauf à la messe, on ne la voit jamais. Je ne joue pas avec elle.
    Le père s’agita un peu, au point qu’Oréus leva la main pour l’inciter au silence.
    — Elle a une très mauvaise blessure sur le pied.
    — Ce n’est pas moi !
    Tout grand et gros qu’il fat, Alfred demeurait un enfant.
    Des larmes perlaient à ses yeux. Après un silence passé à le dévisager, le visiteur conclut:
    — Je pense que tu dis la vérité. Maintenant, veux-tu nous laisser? J’aimerais discuter encore un peu avec ton père.
    Le garçon s’esquiva sans demander son reste. Quand la porte fut refermée, Adjutor expliqua à voix basse :
    — Ce n’est pas un ange, loin de là, mais jamais il ne s’attaquerait à une petite fille.
    — Je le pense aussi. Tu connais le petit Bédard?
    — Je dirais la même chose de lui. Bien sûr, on ne sait jamais exactement ce qui se passe chez les voisins.
    Le juge de paix hocha la tête. Les gens fréquentés depuis la naissance, avec qui on avait marché au catéchisme, n’en restaient pourtant pas moins de parfaits inconnus.
    — Mais pourquoi diable Télesphore raconte-t-il une histoire pareille? demanda le visiteur.
    — Parce que Marie-Anne lui dit de le faire.
    Un rire moqueur souligna ces mots.
    — La petite a des bleus sur les jambes, insista Oréus Mailhot. Ils sont durs avec elle.
    — C’est ce qui se dit dans le rang.
    — Et tout le monde laisse faire ?
    — Si tu veux t’en mêler, vas-y.
    L’ironie rendait les mots abrasifs. Bien sûr, cela ne regardait personne.
    Selon eux, c’est une grande pécheresse, réfléchit le visiteur à haute voix.
    — Le démon nous menace tous !
    Le ton du cultivateur contredisait ses paroles. Pour cet homme, une demi-douzaine d’enfants réunis devenaient turbulents : la nature le voulait ainsi. Cela avait peu à voir avec la perdition des âmes.
    — Pourquoi racontent-ils une histoire de ce genre ?
    insista Mailhot.
    — Si la petite a une blessure bien visible, il leur faut une explication, des coupables.
    — Pour qu’on ne les soupçonne pas, eux ?
    L’autre leva les épaules, comme pour exprimer sa

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