Mathieu et l'affaire Aurore
poêle.
Q. Etiez-vous là quand elle Va brûlée ?
R. Oui.
Q. Disiez-vous quelque chose, vous ?
R. Non. Elle nous faisait regarder par le châssis pour voir s'il venait pas quelqu’un.
Q. Elle vous faisait regarder par le châssis pour voir s’il ne venait pas quelqu’un ?
R. Oui.
Q. Qu’est-ce que votre petite sœur faisait pendant qu’elle se faisait brûler comme ça ?
R. Elle criait, elle criait et puis, une fois, elle lui a bandé la bouche avec une strappe de cuir.
Q. Vous dites qu ’elle lui faisait quoi ?
R. Elle lui bandait la bouche avec une strappe de cuir.
Son seul témoignage aux procès de ses parents compte plus de vingt-cinq mille mots, plus d’un sixième de la longueur de ce long roman. Si je ne l’ai pas repris mot à mot, je me suis efforcé toutefois d’en respecter scrupuleusement la teneur.
J’avais un autre motif de m’intéresser à cette histoire. Je suis né à quelques kilomètres de Sainte-Philomène-de Fortierville. Pendant mon enfance, le récit hantait encore, comme il hante toujours, la mémoire collective dans la région. D’ailleurs, si vous vous rendez dans ce village, vous trouverez la tombe d’Aurore toujours fleurie. D’un sujet de honte, l’événement est devenu un attrait touristique.
J’ai fréquenté l’école avec des Mailhot, des Gagnon, des Lebœuf, des Hamel, des Lemay, des Saint-Onge: ce sont les mêmes patronymes que dans ce roman. J’avais un vieux compte à régler avec cette mémoire.
J’ai fait allusion à plusieurs documents dans ce texte.
Certains ont été cités littéralement, d’autres paraphrasés.
J’en soumets à votre curiosité deux autres, présents sur le site Internet mentionné plus tôt. Le premier est une lettre attribuée à Aurore Gagnon, écrite pendant son séjour à l’Hôtel-Dieu pour soigner une blessure à un pied. J’en respecte bien sûr l’orthographe et la syntaxe : Bien cher maman
je vous dit que je mannui beaucoup être vous capable de venir mevoir jespaire de mannaler parse que monpier se ge'ri tranquileman gé âtre de mannaler je mannui baucoup gem-merai a vous voir vous avé pas anvoigué les petit garçon ala prison gespaire que vous allé venir mecherché gé bien âtre de vous voir vous être pas malade je vous dit que je vous an vairé une lettre
Anvoigé mé 3 cen pour lé lettre
Maman papa
Jaccline
Est-ce bien de sa main ? Ce prénom inédit peut en faire douter, mais elle réfère à deux faits précis : elle s’inquiète du sort des garçons accusés de l’avoir blessée au pied; elle réclame de rentrer bien vite auprès de celle qui la fera mourir.
La seconde lettre, celle-là de Marie-Jeanne Gagnon, est adressée aussi à sa belle-mère :
Québec, 28 avril, 1923.
Madame Télesphore Gagnon,
Kingston.
Bien aimée maman,
Vous me pardonnerez bien mon long silence, sans doute il doit vous avoir peiné; mais veuillez bien user de votre indulgence à mon égard; ce n'est ni paresse ni oubli, mais bien la grande préoccupation des concours de fin d'année qui m'absorbe de ce temps. J'ai répondu à la lettre de ma tante Rachel j'aimerais bien cela aller passer les vacances avec elle. Vous me demandiez si j'avais mes passages non je ne les ai point et puis je voudrais que ma tante me donne des renseignements pour le trajet, voulez vous avoir la bonté de lui écrire et de lui dire tout cela donc chère maman je vais compter sur vous pour tout. J'ai vu Pauline il n'y a pas très longtemps. Elle n'était pas de belle humeur, elle était malade cette chère petite malgré tout elle était contente de me voir. Georges est en bonne santé il vous envoie mille baisers Ne trouvez-vous pas que les vacances arrivent à grands pas pour moi toujours les mois se passent bien vite encore deux mois, et la clé des champs sera à nous.
Que j'aimerais vous voir au milieu de mus ce serait encore plus joyeux mais ne perdons pas espérance rien n'est impossible à Celui à qui on s'adresse. J'avais oublié de vous dire de ne pas vous occuper de mon linge pour sortir je l'ai tout ici; celui des vacances est chez grand'père à Fortierville, je n’aurai qu'à aller le chercher rendu chez mon oncle Welly.
Bonne maman ce n'est qu'à regret que je vous quitte; j'ai hâte de vous lire par l'entremise de ma tante.
De votre enfant aimante
Marie-Jeanne Gagnon
Ce texte témoigne de la situation très délicate où se trouvait cette petite fille. Aimant cette femme comme sa propre mère, elle
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