Mourir pour Saragosse
ligne.
L’affaire ne traîna pas ; quelques jours plus tard, le sergent de cavalerie François Fournier obtenait satisfaction, avec de surcroît un brevet de sous-lieutenant au 9 e régiment de dragons. J’allais le suivre, mais sans avancement, ce qui m’importait peu.
Joachim Murat n’allait pas tarder à faire parler de lui.
Comme nous, il avait présenté sa démission à la garde constitutionnelle qui serait bientôt dissoute à la satisfaction générale. Sa décision, accompagnée d’une lettre enflammée, avait provoqué des remous jusque dans l’Assemblée législative. Il avait obtenu sans peine son transfert dans une troupe de ligne avec le grade de maréchal des logis et une affectation en Champagne, dans les armées du Nord. Une carrière fulgurante l’attendait. Ce fils de cabaretier allait épouser une sœur de Bonaparte, Caroline, et hériter du royaume de Naples.
Je le retrouverais, quelques années plus tard, sur la route de l’Espagne.
Nous n’étions pas encore en guerre, mais la paix ne tenait plus qu’à un fil.
Je ne regrettais pas d’avoir repoussé l’offre de M. de Beauregard. Les émigrés encombraient les gouvernements étrangers qui auraient bien aimé se débarrasser de ces locataires remuants, dont la présence risquait de générer des tensions avec la France.
À ces risques de conflit s’ajoutait une crise de subsistances qui, combinée à une flambée des prix, provoquait des émeutes, notamment dans les provinces du Sud et de l’Ouest où des bandes armées s’attaquaient aux convois de vivres et aux détachements militaires. Les impôts rentrant mal, les coffres du gouvernement sonnaient creux.
Témoin de cette situation confuse, la famille royale se reprenait à espérer une contre-révolution. La reine, recevantle ministre des Relations extérieures, Dumouriez, avait osé lui jeter à la figure : « Nous ne pouvons nous résoudre à voir la royauté sous tutelle. Le peuple a fait de vous un personnage tout-puissant, mais il brise vite ses idoles ! »
En fréquentant les cabinets de lecture et les clubs révolutionnaires, je suivais les événements de près. Nos armées avaient porté le fer en Savoie et dans le Nord en dépit des protestations des cours d’Europe. À la tribune de la Législative, le député de Limoges, Vergnaud, menaça la reine de l’échafaud.
Après la garde constitutionnelle, la garde nationale allait elle-même disparaître. Ses contingents furent versés dans l’armée régulière. J’avais séjourné pour rien dans ces deux institutions.
Sans nouvelles de François Fournier, parti avec ses dragons à la conquête du petit royaume de Savoie, j’errais comme un corps sans âme dans la capitale, attendant mon affectation dans un conflit général qui aurait clarifié une situation intérieure trouble et dangereuse. Nos troupes étaient-elles prêtes à se battre contre l’Allemagne et l’Autriche ? Rien n’était moins sûr. Le gouvernement anglais, quant à lui, était décidé à préserver sa neutralité. Il n’en allait pas de même sur le continent.
Je tentai de renouer des relations avec Héloïse en lui écrivant quelques lettres qui, toutes, me furent retournées sans avoir été ouvertes. Je devais en convenir : sa rupture unilatérale était irréversible. Je demandai une permission pour me rendre en Périgord, puis faillis y renoncer en me disant qu’il serait vain de souffler sur des cendres.
Plutôt que de vivre en caserne, j’avais loué une mansarde entre la porte Saint-Martin et le couvent Saint-Nicolas-des-Champs. Le confort était des plus sommaires mais le quartiercalme et je n’avais qu’une centaine de pas à faire pour se retrouver sur les boulevards. J’y prenais souvent mes repas et en ramenais parfois une créature qui trompait ma solitude pour une plus ou moins longue durée.
Grâce à l’intercession de Delvert, notre ami de Bergerac, j’obtins mon affectation au régiment de Fournier, assortie d’une permission de deux semaines que je consacrai à ma terre natale.
Je quittai Paris au mois de juin. La capitale était en proie à des complots visant à renverser le gouvernement. Pour ne pas risquer de déclencher une guerre civile alors que nos frontières étaient menacées, la Législative évitait les batailles de rue.
Je fis la route dans un détachement de chasseurs à pied en marche vers le sud. Je me plus au milieu de ces cavaliers en bel uniforme : shako noir en
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