[Napoléon 1] Le chant du départ
leur ancien professeur de mathématiques à Ajaccio, se précipite. Ils accusent Napoléon d’avoir fomenté l’émeute du 25 juin, d’avoir persécuté des Français et les Corses dignes de ce nom. Lui, un Bonaparte, dont le père, jadis partisan de Paoli puis courtisan de M. de Marbeuf, lui, un Bonaparte d’origine toscane.
Des amis de Napoléon s’interposent, menacent de mort quiconque oserait le toucher. Napoléon a conservé son sang-froid. « Nous ne serions pas français ? s’écrie-t-il. Orrenda bestemmia , horrible blasphème ! J’attaquerai en justice les scélérats qui le profèrent ! »
On échange encore quelques injures, puis chaque groupe se retire.
Napoléon rentre avec Joseph à la maison de la rue Saint-Charles. Il est silencieux et pensif.
Il vient de mesurer les haines qui divisent les Corses. Ceux qui furent partisans de Paoli et lui restèrent fidèles, et ceux qui acceptèrent, comme Charles Bonaparte, de collaborer avec les autorités françaises. Ceux qui ont choisi de rallier la cause de la France révolutionnaire, et donc de se sentir citoyens de cette nation, et ceux qui ne renoncent pas à la cocarde blanche ; ceux, enfin, qui rêvent d’indépendance.
Au mois de septembre 1790, Napoléon marche à la rencontre de Pascal Paoli, qui a débarqué à Bastia. Depuis, le Babbo règne en maître sur l’île, faisant arrêter ses ennemis, les Français, allant de village en village entouré d’une foule d’admirateurs et de courtisans. Paoli est accueilli partout comme le Sauveur, le Dictateur.
Napoléon se mêle avec son frère aux jeunes gens qui forment autour de Pascal Paoli une cohorte qui cavalcade et se dispute le privilège de faire partie de son escorte d’honneur.
Napoléon observe ce cortège dont il fait partie. À l’entrée des villages, on a dressé des arcs de triomphe. Les habitants lancent des vivats, tirent avec leurs mousquets.
Napoléon chevauche à côté de Paoli. Il regarde cet homme vieilli qui a vécu vingt ans en Angleterre, recevant 2 000 livres sterling de pension du gouvernement anglais. Il mesure que, dans l’entourage de Paoli, il n’est qu’un parmi d’autres. Peut-être même est-il suspect à cause de l’uniforme d’officier français qu’il porte, à cause de l’attitude qu’a eue son père. Et puis, il y a la vieille opposition entre gens de Bastia et gens d’Ajaccio, ceux di quà et ceux di là , d’en deçà et d’au-delà des monts. Paoli se méfie d’Ajaccio. Les Bonaparte sont ajacciens.
La troupe arrive à Ponte Novo.
Là, en 1769, Paoli a été battu par les Français. Il caracole, descend de cheval, explique avec complaisance à Napoléon les positions des deux camps, celles qu’il avait fait occuper et défendre par ses partisans. On écoute avec respect son récit du combat. Napoléon conclut d’une voix sèche, en officier qui connaît le métier des armes : « Le résultat de ces dispositions a été ce qu’il devait être. »
Le silence s’abat sur le groupe. Pascal Paoli regarde Napoléon, qui ne semble pas s’être rendu compte de son insolence, qui félicite son aîné pour son courage de héros, sa fidélité à la Corse. L’incident paraît clos. Joseph Bonaparte est élu au Congrès que Paoli réunit à Orezza, puis il sera encore choisi pour être président du directoire du district d’Ajaccio.
Napoléon est satisfait.
On est à la fin de l’année 1790. Son congé expire. Il veut, il doit rentrer en France, pour toucher sa solde, parce qu’il se sent désormais lié à ce royaume dont il est le citoyen et l’officier. Il veut aussi conduire son frère Louis sur le continent afin de lui faire suivre les cours d’une école militaire et, si besoin est, de l’instruire lui-même, de surveiller ses études.
Presque chaque jour durant l’hiver 1790, Napoléon se rend sur le port. Mais les vents sont contraires. Aucun navire n’appareille pour la France.
Napoléon écrit, fait travailler ses frères et soeurs.
À la fin de décembre, il peut enfin embarquer avec Louis, mais le navire est rejeté sur la côte de Corse à deux reprises.
Il faut attendre.
Le 6 janvier 1791, à Ajaccio, il inaugure le club patriotique de la ville, Il Globo Patriottico . Il assiste à chaque séance, intervenant avec fougue.
L’homme qui a vingt et un ans et demi sait désormais agir avec habileté sur les hommes. Il avait appris le métier des armes en France. En Corse,
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