[Napoléon 1] Le chant du départ
attendus à Auxonne avec la même impatience qu’en Corse, et Napoléon fait la lecture publique des articles qui relatent les événements de Paris aux sous-officiers et aux soldats acquis aux idées révolutionnaires.
Mais la nuit, quand Louis dort, Napoléon continue de travailler avec une passion que les troubles politiques qu’il suit, commente, et auxquels il a été mêlé en France et en Corse, n’entament pas.
Il lit Machiavel, une histoire de la Sorbonne et une autre de la noblesse. Parfois, le lendemain, il montre à Louis les listes de mots qu’il a dressées pour compléter son vocabulaire. Il recopie les tournures de phrases, des expressions. Il veut posséder cette langue française qu’il écrit avec fièvre.
« Le sang méridional qui coule dans mes veines, note-t-il au bas d’une lettre à son ami Naudin, commissaire des Guerres à Auxonne, va avec la rapiditié du Rhône. Pardonnez donc si vous prenez de la peine à lire mon griffonnage. »
Il relit les oeuvres de Rousseau. Il note en marge de certains passages : « Je ne crois pas cela. » Parfois il raye d’un geste nerveux des mots qu’il a tracés. Il n’est plus un simple élève qui prend des notes. Il forge ses idées en toute liberté, mais la passion est toujours présente. « Les seigneurs sont le fléau du peuple », écrit-il. Et encore : « Le pape n’est que le chef ministériel de l’Église. L’infaillibilité appartient à l’Église légitimement assemblée et non au pape. »
Il lui arrive de travailler quinze à seize heures par jour. Et, sa tâche personnelle accomplie, il se tourne vers Louis.
« Je le fais étudier à force », dit-il.
La colère souvent le saisit. Il gifle son frère. Des voisins s’indignent. « Vilain marabout », lui crie-t-on. Mais quand Louis réussit un exercice de mathématiques ou de français, Napoléon se détend. Il sourit. Il flatte son jeune frère.
« Ce sera le meilleur d’entre nous », dit-il à Joseph. « Toutes les femmes de ce pays-ci en sont amoureuses », précise-t-il.
Il écoute avec ravissement le garçon de treize ans s’exprimer. Il le regarde s’avancer dans les salons, désinvolte et élégant. « Il a pris un petit ton français propre, leste, écrit-il encore à Joseph. Il entre dans une société, salue avec grâce, fait les questions d’usage avec un sérieux et une dignité de trente ans. »
Napoléon a pour son cadet une attention de tous les instants. Il se sent responsable, il lui enseigne tout ce qu’il sait. Et, satisfait, ajoute : « Aucun de nous n’aura eu une si jolie éducation. »
« Allons », dit Napoléon. C’est ainsi qu’on forme un jeune frère.
Il est trois heures trente du matin. Louis claque des dents. Il s’habille en hâte. Un morceau de pain, et en avant, par les chemins de campagne, dans la nuit glaciale, et parfois il vente.
Napoléon prend la direction de Dole. Là, au 17 de la rue de Besançon, habite l’imprimeur Joly. L’artisan a accepté d’imprimer la Lettre à Buttafoco . Cela vaut bien quatre lieues de marche aller, et autant au retour 1 . Et il faut parcourir ce trajet plusieurs jours de suite.
Un matin, Napoléon a revêtu l’habit sans-culotte, carmagnole et pantalon de toile blanche rayée. À l’imprimeur qui s’étonne, Napoléon répond de sa voix brève et saccadée qu’il est aux côtés de ceux qui défendent la liberté, que c’est là la seule cause.
Il ne s’attarde jamais à Dole. Il invite Louis à se remettre en route. Il faut être à Auxonne avant midi.
Le soleil s’est levé, Napoléon profite de cette marche pour faire à Louis une leçon de géographie et lui répéter que jamais on ne doit laisser le temps s’écouler, vide.
Alors qu’ils arrivent au bord de la Saône, non loin des casernes d’Auxonne, deux officiers du régiment de La Fère l’abordent.
Voilà donc ce lieutenant Bonaparte !
La discussion est vive. Les officiers lui reprochent d’avoir lu aux soldats des articles de journaux favorables aux décrets de l’Assemblée. Il a même déclamé l’adresse que le club patriotique d’Ajaccio a envoyée aux Constituants, précisant qu’elle avait été écrite par son frère aîné Joseph.
Le ton monte. Les deux officiers prétendent que tout noble est tenu d’émigrer, que c’est là la seule manière de rester fidèle au roi.
« Vive la nation ! » répond Napoléon. La patrie est au-dessus du roi.
Les deux
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