[Napoléon 1] Le chant du départ
inspirateur des événements, mêlé aux luttes qui opposent les factions et les clans, reconnu comme l’un des chefs du mouvement, il a appris la politique. Il a joué des uns et des autres, poussé son frère Joseph à occuper le devant de la scène en accédant à des postes officiels. Il est encore trop jeune pour être le premier.
Lorsque le 23 janvier 1791, dans son cabinet de la maison de campagne de Milelli, il écrit, au nom du club patriotique d’Ajaccio, une lettre à Buttafoco, le député de la noblesse, et que le club en décide l’impression, il l’envoie à Paoli.
Le texte est long, emphatique. Napoléon, en attaquant le député de la noblesse, en critiquant la carrière de Buttafoco, l’homme qui incita Choiseul à conquérir la Corse, retrace toutes les étapes de l’histoire de l’île. Il dénonce ce Buttafoco « tout dégoûtant du sang de ses frères ». Il s’adresse aux députés de la Constituante : « Ô Lameth, Ô Robespierre, Ô Pétion, Ô Volney, Ô Mirabeau, Ô Barnave, Ô Bailly, Ô La Fayette, voilà l’homme qui a osé s’asseoir à côté de vous ! »
Mais Paoli, d’un ton sec, répond à Napoléon qu’il faut « dire moins et montrer moins de partialité ».
Napoléon serre les dents. Il y a longtemps qu’on ne lui fait plus la leçon. D’ailleurs, a-t-il jamais accepté qu’on le morigène ?
Mais il doit poursuivre sa lecture.
« Ne vous donnez pas la peine de démentir les impostures de Buttafoco, continue Paoli… Laissez-le au mépris et à l’indifférence du public. »
C’est comme si Napoléon recevait un soufflet.
Mais il a choisi d’être l’homme de Pascal Paoli. Alors, il subit en silence le camouflet.
Heureusement, dans les derniers jours du mois de janvier 1791, les vents tournent.
Napoléon, accompagné jusqu’à la passerelle par sa mère, ses frères et ses soeurs, ainsi que par ses amis du Globo Patriottico , peut embarquer avec son frère Louis pour la France.
Sur le pont, à la poupe, tenant par l’épaule son jeune frère, il doute.
Son destin est dans l’île. Il le veut ainsi, il le croit. Et cependant, lorsque le navire prend le large et que les sommets de la Corse s’effacent sur la ligne d’horizon, Napoléon, pour la première fois, ne ressent aucun arrachement.
Quelque chose, en lui, a changé.
10.
Il est trois heures et demie de l’après-midi, ce 8 février 1791. Napoléon marche d’un bon pas sur la route de Lyon.
Au loin, sous un ciel bas qui annonce la neige, il distingue le clocher de Saint-Vallier-du-Rhône. À quelques centaines de mètres seulement, il aperçoit les premières maisons, des cabanes plutôt, d’un petit village.
Il fait froid mais, comme souvent avant la chute des flocons, une douceur humide imprègne l’atmosphère.
De temps à autre, Napoléon se retourne. Son jeune frère Louis s’est laissé distancer à dessein. Il n’a que treize ans. Il eût aimé rester à Valence, attendre le départ de la diligence.
« Nous allons marcher jusqu’au village de Serve », a dit Napoléon après avoir consulté le cocher. La diligence s’arrêtera lorsqu’elle passera.
Voici Serve. L’obscurité tombe tout à coup. Un paysan lui ouvre sa porte. Il salue l’officier et le jeune garçon, les accueille. Ils attendront là la diligence qui traversera la village au début de la nuit, avant d’atteindre Saint-Vallier-du-Rhône et d’y faire étape.
Napoléon s’installe, offre une pièce. Sa pensée a besoin de s’exprimer. Il dialogue longuement avec le paysan. Louis somnole. Puis on lui apporte la chandelle. Il sort de sa sacoche le nécessaire d’écriture. Il commence une lettre à son oncle Fesch.
« Je suis dans la cabane d’un pauvre d’où je me plais à t’écrire. Il est quatre heures du soir, le temps est frais quoique doux. Je me suis amusé à marcher… J’ai trouvé partout des paysans très fermes sur leurs étriers, surtout en Dauphiné. Ils sont tous disposés à périr pour le maintien de la Constitution.
« J’ai vu à Valence un peuple résolu, des soldats patriotes et des officiers aristocrates… Les femmes sont partout royalistes. Ce n’est pas étonnant. La liberté est une femme plus jolie qui les éclipse. »
Il s’interrompt. Louis s’est endormi. Il pense à la situation en Corse. Les hommes qu’il a rencontrés à Valence lui ont paru moins compétents que ceux d’Ajaccio.
« Il ne faut pas tant plaindre notre
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