[Napoléon 4] L'immortel de Sainte-Hélène
trouvera de ce parti-là. Mon armée sera plus formidable, ma position plus menaçante que si j’avais gagné deux batailles. Je m’établirai à Vitebsk. Je mettrai la Pologne sous les armes et je choisirai plus tard, s’il le faut, entre Moscou et Saint-Pétersbourg.
Il voit le visage de Caulaincourt, ceux de Berthier et des aides de camp s’épanouir. Ils veulent tous et ils espèrent cela. Et c’est sans doute la sagesse. Mais est-il donc encore possible d’être sage ?
Tout à coup, deux explosions énormes embrasent le ciel. Les Russes ont dû faire sauter leurs dépôts de munitions. La ville tout entière brûle, illuminant le ciel. Tout l’horizon semble en feu.
Il est fasciné par ce spectacle, attiré par lui.
— C’est une éruption du Vésuve, dit-il. N’est-ce pas, que c’est un beau spectacle, monsieur le grand écuyer ?
Il frappe sur l’épaule de Caulaincourt, qui tressaille.
— Horrible, Sire, murmure le grand écuyer.
N’ont-ils donc rien appris de la guerre ?
— Bah, reprend Napoléon, rappelez-vous, messieurs, ce mot d’un empereur romain : le corps d’un ennemi mort sent toujours bon.
Il rentre dans Smolensk le mardi 18 août. Des morts partout, parmi les décombres qui brûlent. À l’odeur de fumée se mêle celle des cadavres qui commencent à se décomposer. Il chevauche lentement, lance des ordres. Qu’on enlève les morts, qu’on ramasse les blessés, qu’on éteigne les incendies et qu’on recense les subsistances trouvées en ville.
Il s’installe dans la maison du gouverneur. On y étouffe. L’odeur de mort a imprégné toutes les pièces. Il jette son épée sur une table.
— La campagne de 1812 est terminée, dit-il d’un ton las.
Il s’assied, allonge ses jambes. Il les sent lourdes, enflées dans les bottes. Il commence à écrire.
« Mon amie, je suis à Smolensk depuis ce matin. J’ai pris cette ville aux Russes après leur avoir tué trois mille hommes et blessé plus du triple. Ma santé est fort bonne. La chaleur est excessive. Mes affaires vont bien. Schwarzenberg a battu les Russes à deux cents lieues d’ici.
« Nap. »
Il se sent mieux avec la nuit qui tombe, plus fraîche. Le prince Schwarzenberg a donc battu les Russes. Bon allié autrichien !
— Cela donne une couleur à l’alliance. Ce canon retentira à Pétersbourg, dans la salle du trône de mon frère Alexandre. C’est un bon exemple pour les Prussiens. Ils se piqueront peut-être d’honneur.
Et en même temps il est soucieux. En Suède, Bernadotte a favorisé la signature d’une alliance anglo-russe. Ce Français s’apprête à trahir ! Les dépêches qui arrivent d’Espagne annoncent des victoires de Wellington. Marmont a été battu. Joseph a abandonné Madrid. Certes, à quelque chose malheur est bon.
— Les Anglais sont occupés, dit-il à Caulaincourt. Ils ne peuvent quitter l’Espagne pour aller me faire des échauffourées en France ou en Allemagne. Voilà ce qui m’importe.
Mais il suffirait d’une défaite pour que tout, derrière lui, s’embrase. La Prusse, l’Allemagne ; et, en France même, certains le guettent, attendent l’occasion. Peut-il se permettre de rester une saison de plus en Russie, de ne pas conclure cette campagne par une victoire triomphale, l’entrée dans Moscou ?
Il se redresse. Il va chevaucher autour de Smolensk en direction de Valoutina, où les troupes sont engagées contre l’arrière-garde de Barclay, qu’elles peuvent cerner. Il regarde les cartes, consulte les rapports des aides de camp.
— Barclay est fou, dit-il, cette arrière-garde est à nous, si Junot marche seulement l’arme au bras.
Il galope vers le lieu de la bataille. Il observe les mouvements de troupes. Que fait donc Junot ?
Il n’attaque pas. Il laisse Murat charger seul et l’oblige à se replier. Les Russes vont s’échapper, une nouvelle fois !
Napoléon rentre à Smolensk. Il est sombre. Il se souvient du courage de Junot, de sa fidélité, de son intrépidité, c’était il y a si longtemps au siège de Toulon.
— Junot n’en veut plus, dit-il. Il me fait perdre la campagne.
Il faudrait sévir, dégrader, renvoyer, humilier.
Mais c’est Junot, mon premier aide de camp, quand je battais le pavé de Paris, avec un uniforme délavé et troué .
Comme Junot, il le sait, tant de généraux sont las de se battre, même s’ils sont braves, s’ils chargent encore avec héroïsme.
Mais puis-je faire la
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