[Napoléon 4] L'immortel de Sainte-Hélène
Il pleut à verse depuis trois jours. La terre est devenue boue. On ne peut se déplacer.
Napoléon dicte une lettre pour Barbier, son bibliothécaire, qui depuis plus de dix ans trouve tous les livres dont il a besoin, compose la bibliothèque de campagne, rédige des notes sur les dernières parutions.
« L’Empereur, explique Napoléon, désirerait avoir quelques livres amusants. S’il y avait quelques bons romans nouveaux ou plus anciens qu’il ne connût pas, ou des Mémoires d’une lecture agréable, vous feriez bien de nous les envoyer, car nous aurons des moments de loisir qu’il n’est pas aisé de remplir ici. »
Pas de femmes, pas de théâtre, pas de Cour, pas d’apparat. Des châteaux rustiques, des villes aux rues non pavées. Pas un notable pour en remettre les clés, pour se placer à mon service. Un pays pire que l’Égypte ! La vie austère d’un empereur-soldat .
Il aime se voir ainsi. Il y pense quelques instants, en buvant ce verre de chambertin dont les fourriers réussissent à transporter les bouteilles jusqu’ici ! Ce vin, son seul luxe. Le moment où il se détend, savourant ces deux ou trois gorgées, le plus souvent coupées d’eau.
Puis c’est à nouveau la guerre. Berthier qu’il faut houspiller, dont les prudences irritent. « Il faut aller chercher la subsistance pour les chevaux jusqu’à dix et douze lieues de Vitebsk, dit le maréchal. Partout, les habitants qui n’ont pas fui sont en armes. On exténue, pour aller chercher des vivres, des chevaux qui avaient besoin de repos et on les expose ainsi que les hommes à être pris par les cosaques ou massacrés par les paysans, ce qui arrive souvent », ajoute Berthier.
Il ne veut pas l’écouter. Il faut organiser la recherche des vivres, il l’a déjà dit. Il faut surtout se remettre en marche, joindre l’ennemi, le battre, puis ainsi le forcer à la paix.
Il quitte Vitebsk en direction de Smolensk. Il arrive au bord du Dniepr. Il longe le fleuve, chevauchant jusqu’à la nuit. Ici est l’immensité des fleuves et des terres.
Il entend une canonnade, des aides de camp arrivent au galop, rapportent qu’à Krasnoïe la cavalerie de Murat a attaqué une division russe, pris des canons, les premiers trophées de la campagne. Des prisonniers ont révélé que les troupes russes se concentrent à Smolensk, « la ville sainte », ont-ils dit. C’est là qu’aura donc lieu la bataille.
Il rejoint sa tente, placée au milieu du carré de la Garde.
C’est le 15 août 1812. Ce samedi, il a quarante-trois ans ! Il passe en revue sa Garde qui l’acclame. Point de Te Deum dans une cathédrale, point de dignitaires venus présenter leurs voeux. A-t-il jamais connu cela ? Il lui semble qu’il fait la guerre depuis toujours. Il va partir vers les avant-postes qui sont déjà autour de Smolensk.
Debout, il écrit quelques lignes :
« Mon amie, je t’écris de dessous ma tente, car je suis en chemin pour me porter sur Smolensk. Ma santé est fort bonne. Les détails que tu me fais du petit roi sont fort intéressants. Il est bien heureux de te voir à côté de lui. Adieu, mon amie, tout à toi.
« Ton fidèle
« Nap. »
Il regarde Smolensk, ses remparts de brique, ses coupoles, les collines qui l’entourent et dominent la rive gauche du Dniepr sur laquelle la ville est bâtie. Ce pont, là, est situé au point de rencontre des routes qui conduisent à Saint-Pétersbourg et à Moscou.
Il écoute les rapports. La ville est défendue. Des cosaques ont même réussi à encercler le maréchal Ney, qui a eu le collet de son habit déchiré par une balle tirée à bout portant.
Il observe à la lunette les mouvements de troupes russes sur le pont. Les unes rentrent dans la ville, les autres la quittent. Les Russes se préparent-ils à une nouvelle retraite ?
Il sollicite l’avis de Caulaincourt, mais il l’imagine. Le grand écuyer pense que les Russes vont se retirer.
Il observe longuement la ville où, dans la nuit, commencent à s’allumer des incendies.
— Si c’est ainsi, en m’abandonnant une de leurs villes saintes, les généraux russes déshonorent leurs armées aux yeux de leurs propres sujets, dit-il.
Il marche devant son bivouac.
— Cela me donnera une bonne position, reprend-il. Nous les éloignerons un peu pour être tranquilles. Je me fortifierai. Nous nous reposerons et, sous ce point d’appui, le pays s’organisera et nous verrons comment Alexandre se
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