Nice
une femme, les seins plus droits, la cambrure plus marquée.
Elle pouvait, et n’était-ce pas cela aussi la femme, ouvrir sa tendresse,
enfoncer son visage dans la chevelure de Vincent avant qu’il se redresse et ne
plie Jeanne à son tour.
Aimer, ne pas aimer. Jeanne se gardait de prononcer ce verbe
grave.
Elle s’était confiée à Christiane, un matin, alors qu’elles
étaient toutes deux seules dans la cuisine, de part et d’autre de la table.
— Tu te sens bien ? disait Christiane.
Jeanne riait, faisait oui, en baissant les yeux. Christiane
se levait, embrassait Jeanne.
— Tu es une drôle de bonne femme, tu prends des airs,
timidité, silence, et puis hop ! Il est sympa, Vincent ?
— Qu’est-ce que je fais ?
— Tu vis, voilà !
Sylvie entrait dans la cuisine.
— Jeanne nous quitte, chantonnait Christiane qui se
tournait vers Jeanne. Tu vas t’installer toute seule, j’imagine ?
Jeanne louait quelques jours plus tard, à Fabron, non loin
de la faculté des lettres, un appartement au rez-de-chaussée d’une villa. Elle
disposait d’un jardin où Elsa pouvait jouer, traçant entre les plantes grasses
de longues routes. Elle y promenait ses poupées sur de minuscules voitures.
Quand Vincent arrivait, Elsa dormait déjà et pour Jeanne commençait
une deuxième vie, limitée à la nuit, une fable que l’aube, une douche prise
après le départ de Vincent dissipait.
Jeanne réveillait Elsa, elle embrassait la peau de sa fille,
tiède encore de sommeil, avec une joie paisible qu’elle n’éprouvait jamais
avant de connaître Vincent.
Il lui semblait même qu’Elsa était plus calme, depuis
qu’elles vivaient seules toutes les deux et que Vincent était l’hôte clandestin
que le jour chasse.
Le matin, Elsa riait en apercevant sa mère penchée sur le
lit. Elle se penchait à son cou, l’obligeait à se coucher, l’attirant avec une
force inattendue et dans le regard une complicité ironique qui troublait
Jeanne. Elsa peut-être savait ou devinait.
Que peut-on dissimuler ? pensait Jeanne en roulant vers
Saint-Paul.
Chaque jour en rentrant dans l’atelier de Sam, c’était la
même appréhension, le même désir de dire après avoir embrassé Violette : « Vincent
et moi. » La même impossibilité aussi.
— Plus tard, disait Christiane. Tu verras. Ma tante
comprendra.
Franche et claire Violette.
Le matin, Jeanne l’apercevait qui, pieds nus, arrosait les
fleurs devant l’atelier. Vincent arrivait. « Salut Jeanne », lançait-il
sans la regarder, puis il embrassait sa mère et la manière dont Violette marchait
près de son fils, le tenant par le bras ou bien ce geste vers les cheveux de
Vincent, doigts ouverts – et Jeanne pensait à la nuit quand elle enfonçait
son visage entre les mèches – inquiétait Jeanne qui n’était plus sûre de
la compréhension de Violette.
Christiane la tranquillisait. Violette qui n’avait jamais
cédé aux conventions, qui avait construit sa vie toute seule, et ce fils
qu’elle avait voulu, malgré la guerre, avec un homme, Sori, qu’elle avait
refusé d’épouser, Violette qui serait heureuse pour Vincent. Plus vieille Jeanne ?
— Tu n’as pas l’âge de sa mère ? Et les hommes
alors ? Est-ce qu’ils se gênent ?
L’intuition pourtant qui ne trompe pas et la surprise quand
même. Violette serrait ses lèvres, visage émacié, cheveux tirés en arrière,
dégageant son grand front osseux.
— Ah ! tu es fine, disait-elle à Jeanne. Elle
allait de long en large dans l’atelier. Mais tu t’es levée trop tard. J’en ai
vu des comme toi, sainte nitouche dehors, garce dedans, tiens j’avais une amie,
Katia…
Jeanne, ce matin-là, avait été surprise de trouver Violette
dans l’atelier, le corps pris dans un tailleur sombre. Violette qui l’attendait,
allumait une cigarette, la jetait dans le jardin, en reprenait une autre.
— Mais la différence, continuait Violette, c’est
qu’avant, au moins, les femmes comme toi elles se collaient avec des vieux,
Katia…
Elle s’interrompait.
— Qu’est-ce que tu veux ? Qu’est-ce que tu espères ?
Roland, Vincent, pourquoi pas Sam maintenant ?
Jeanne a reculé. Elle écoute, observe ce visage nouveau.
Cela aussi, c’est Violette ; et c’est d’elle qu’elle parle.
— Je ne veux rien, dit Jeanne.
— Je ne te laisserai pas lui gâcher sa vie, dit
Violette. Tu sais quel âge il a ?
Elle crie maintenant,
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