Notre-Dame de Paris
était facile de voir qu’il s’agissait de quelque fiançaille consommée, de quelque mariage prochain sans doute entre le jeune homme et Fleur-de-Lys. Et à la froideur embarrassée de l’officier, il était facile de voir que, de son côté du moins, il ne s’agissait plus d’amour. Toute sa mine exprimait une pensée de gêne et d’ennui que nos sous-lieutenants de garnison traduiraient admirablement aujourd’hui par : Quelle chienne de corvée !
La bonne dame, fort entêtée de sa fille, comme une pauvre mère qu’elle était, ne s’apercevait pas du peu d’enthousiasme de l’officier, et s’évertuait à lui faire remarquer tout bas les perfections infinies avec lesquelles Fleur-de-Lys piquait son aiguille ou dévidait son écheveau.
« Tenez, petit cousin, lui disait-elle en le tirant par la manche pour lui parler à l’oreille. Regardez-la donc ! la voilà qui se baisse.
– En effet », répondait le jeune homme ; et il retombait dans son silence distrait et glacial.
Un moment après, il fallait se pencher de nouveau, et dame Aloïse lui disait :
« Avez-vous jamais vu figure plus avenante et plus égayée que votre accordée ? Est-on plus blanche et plus blonde ? ne sont-ce pas là des mains accomplies ? et ce cou-là, ne prend-il pas, à ravir, toutes les façons d’un cygne ? Que je vous envie par moments ! et que vous êtes heureux d’être homme, vilain libertin que vous êtes ! N’est-ce pas que ma Fleur-de-Lys est belle par adoration et que vous en êtes éperdu ?
– Sans doute, répondait-il tout en pensant à autre chose.
– Mais parlez-lui donc, dit tout à coup madame Aloïse en le poussant par l’épaule. Dites-lui donc quelque chose. Vous êtes devenu bien timide. »
Nous pouvons affirmer à nos lecteurs que la timidité n’était ni la vertu ni le défaut du capitaine. Il essaya pourtant de faire ce qu’on lui demandait.
« Belle cousine, dit-il en s’approchant de Fleur-de-Lys, quel est le sujet de cet ouvrage de tapisserie que vous façonnez ?
– Beau cousin, répondit Fleur-de-Lys avec un accent de dépit, je vous l’ai déjà dit trois fois. C’est la grotte de Neptunus. »
Il était évident que Fleur-de-Lys voyait beaucoup plus clair que sa mère aux manières froides et distraites du capitaine. Il sentit la nécessité de faire quelque conversation.
« Et pour qui toute cette neptunerie ? demanda-t-il.
– Pour l’abbaye Saint-Antoine des Champs », dit Fleur-de-Lys sans lever les yeux.
Le capitaine prit un coin de la tapisserie :
« Qu’est-ce que c’est, ma belle cousine, que ce gros gendarme qui souffle à pleines joues dans une trompette ?
– C’est Trito », répondit-elle.
Il y avait toujours une intonation un peu boudeuse dans les brèves paroles de Fleur-de-Lys. Le jeune homme comprit qu’il était indispensable de lui dire quelque chose à l’oreille, une fadaise, une galanterie, n’importe quoi. Il se pencha donc, mais il ne put rien trouver dans son imagination de plus tendre et de plus intime que ceci : « Pourquoi votre mère porte-t-elle toujours une cotte-hardie armoriée comme nos grand-mères du temps de Charles VII ? Dites-lui donc, belle cousine, que ce n’est plus l’élégance d’à présent, et que son gond et son laurier brodés en blason sur sa robe lui donnent l’air d’un manteau de cheminée qui marche. En vérité, on ne s’assied plus ainsi sur sa bannière, je vous jure. »
Fleur-de-Lys leva sur lui ses beaux yeux pleins de reproche : « Est-ce là tout ce que vous me jurez ? » dit-elle à voix basse.
Cependant la bonne dame Aloïse, ravie de les voir ainsi penchés et chuchotant, disait en jouant avec les fermoirs de son livre d’heures : « Touchant tableau d’amour ! »
Le capitaine, de plus en plus gêné, se rabattit sur la tapisserie : « C’est vraiment un charmant travail ! » s’écria-t-il.
À ce propos, Colombe de Gaillefontaine, une autre belle blonde à peau blanche, bien colletée de damas bleu, hasarda timidement une parole qu’elle adressa à Fleur-de-Lys, dans l’espoir que le beau capitaine y répondrait : « Ma chère Gondelaurier, avez-vous vu les tapisseries de l’hôtel de la Roche-Guyon ?
– N’est-ce pas l’hôtel où est enclos le jardin de la Lingère du Louvre ? demanda en riant Diane de Christeuil, qui avait de belles dents et par conséquent riait à tout propos.
– Et où il y a cette grosse vieille tour de
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