Notre-Dame de Paris
casaque à mahoîtres fourrées, ramassa son bonnet et sortit en désespéré.
Il descendit la rue de la Harpe vers la Cité. En passant devant la rue de la Huchette, l’odeur de ces admirables broches qui tournaient incessamment vint chatouiller son appareil olfactif, et il donna un regard d’amour à la cyclopéenne rôtisserie qui arracha un jour au cordelier Calatagirone cette pathétique exclamation : Veramente, queste rotisserie sono cosa stupenda {81} ! Mais Jehan n’avait pas de quoi déjeuner, et il s’enfonça avec un profond soupir sous le porche du Petit-Châtelet, énorme double-trèfle de tours massives qui gardait l’entrée de la Cité.
Il ne prit pas même le temps de jeter une pierre en passant, comme c’était l’usage, à la misérable statue de ce Périnet Leclerc qui avait livré le Paris de Charles VI aux Anglais, crime que son effigie, la face écrasée de pierres et souillée de boue, a expié pendant trois siècles au coin des rues de la Harpe et de Bussy, comme à un pilori éternel.
Le Petit-Pont traversé, la rue Neuve-Sainte-Geneviève enjambée, Jehan de Molendino se trouva devant Notre-Dame. Alors son indécision le reprit, et il se promena quelques instants autour de la statue de M. Legris, en se répétant avec angoisse : « Le sermon est sûr, l’écu est douteux ! »
Il arrêta un bedeau qui sortait du cloître. « Où est monsieur l’archidiacre de Josas ?
– Je crois qu’il est dans sa cachette de la tour, dit le bedeau, et je ne vous conseille pas de l’y déranger, à moins que vous ne veniez de la part de quelqu’un comme le pape ou monsieur le roi. »
Jehan frappa dans ses mains.
« Bédiable ! voilà une magnifique occasion de voir la fameuse logette aux sorcelleries ! »
Déterminé par cette réflexion, il s’enfonça résolument sous la petite porte noire, et se mit à monter la vis de Saint-Gilles qui mène aux étages supérieurs de la tour. « Je vais voir ! se disait-il chemin faisant. Par les corbignolles de la sainte Vierge ! ce doit être chose curieuse que cette cellule que mon révérend frère cache comme son pudendum ! On dit qu’il y allume des cuisines d’enfer, et qu’il y fait cuire à gros feu la pierre philosophale. Bédieu ! je me soucie de la pierre philosophale comme d’un caillou, et j’aimerais mieux trouver sur son fourneau une omelette d’œufs de Pâques au lard que la plus grosse pierre philosophale du monde ! »
Parvenu sur la galerie des colonnettes, il souffla un moment, et jura contre l’interminable escalier par je ne sais combien de millions de charretées de diables, puis il reprit son ascension par l’étroite porte de la tour septentrionale aujourd’hui interdite au public. Quelques moments après avoir dépassé la cage des cloches, il rencontra un petit palier pratiqué dans un renfoncement latéral et sous la voûte une basse porte ogive dont une meurtrière, percée en face dans la paroi circulaire de l’escalier, lui permit d’observer l’énorme serrure et la puissante armature de fer. Les personnes qui seraient curieuses aujourd’hui de visiter cette porte la reconnaîtront à cette inscription, gravée en lettres blanches dans la muraille noire : J’ADORE CORALIE, 1829. SIGNÉ UGÈNE. Signé est dans le texte.
« Ouf ! dit l’écolier ; c’est sans doute ici. »
La clef était dans la serrure. La porte était tout contre. Il la poussa mollement, et passa sa tête par l’entrouverture.
Le lecteur n’est pas sans avoir feuilleté l’œuvre admirable de Rembrandt, ce Shakespeare de la peinture. Parmi tant de merveilleuses gravures, il y a en particulier une eau-forte qui représente, à ce qu’on suppose, le docteur Faust, et qu’il est impossible de contempler sans éblouissement. C’est une sombre cellule. Au milieu est une table chargée d’objets hideux, têtes de mort, sphères, alambics, compas, parchemins hiéroglyphiques. Le docteur est devant cette table, vêtu de sa grosse houppelande et coiffé jusqu’aux sourcils de son bonnet fourré. On ne le voit qu’à mi-corps. Il est à demi levé de son immense fauteuil, ses poings crispés s’appuient sur la table, et il considère avec curiosité et terreur un grand cercle lumineux, formé de lettres magiques, qui brille sur le mur du fond comme le spectre solaire dans la chambre noire. Ce soleil cabalistique semble trembler à l’œil et remplit la blafarde cellule de son rayonnement mystérieux.
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