Notre-Dame de Paris
elle examina sa cellule. C’était une chambre de quelque six pieds carrés, avec une petite lucarne et une porte sur le plan légèrement incliné du toit en pierres plates. Plusieurs gouttières à figures d’animaux semblaient se pencher autour d’elle et tendre le cou pour la voir par la lucarne. Au bord de son toit, elle apercevait le haut de mille cheminées qui faisaient monter sous ses yeux les fumées de tous les feux de Paris. Triste spectacle pour la pauvre égyptienne, enfant trouvée, condamnée à mort, malheureuse créature, sans patrie, sans famille, sans foyer.
Au moment où la pensée de son isolement lui apparaissait ainsi, plus poignante que jamais, elle sentit une tête velue et barbue se glisser dans ses mains, sur ses genoux. Elle tressaillit (tout l’effrayait maintenant), et regarda. C’était la pauvre chèvre, l’agile Djali, qui s’était échappée à sa suite, au moment où Quasimodo avait dispersé la brigade de Charmolue, et qui se répandait en caresses à ses pieds depuis près d’une heure, sans pouvoir obtenir un regard. L’égyptienne la couvrit de baisers. « Oh ! Djali, disait-elle, comme je t’ai oubliée ! Tu songes donc toujours à moi ! Oh ! tu n’es pas ingrate, toi ! » En même temps, comme si une main invisible eût soulevé le poids qui comprimait ses larmes dans son cœur depuis si longtemps, elle se mit à pleurer ; et à mesure que ses larmes coulaient, elle sentait s’en aller avec elles ce qu’il y avait de plus âcre et de plus amer dans sa douleur.
Le soir venu, elle trouva la nuit si belle, la lune si douce, qu’elle fit le tour de la galerie élevée qui enveloppe l’église. Elle en éprouva quelque soulagement, tant la terre lui parut calme, vue de cette hauteur.
III – SOURD
Le lendemain matin, elle s’aperçut en s’éveillant qu’elle avait dormi. Cette chose singulière l’étonna. Il y avait si longtemps qu’elle était déshabituée du sommeil. Un joyeux rayon du soleil levant entrait par sa lucarne et lui venait frapper le visage. En même temps que le soleil, elle vit à cette lucarne un objet qui l’effraya, la malheureuse figure de Quasimodo. Involontairement elle referma les yeux, mais en vain ; elle croyait toujours voir à travers sa paupière rose ce masque de gnome, borgne et brèche-dent. Alors, tenant toujours ses yeux fermés, elle entendit une rude voix qui disait très doucement :
« N’ayez pas peur. Je suis votre ami. J’étais venu vous voir dormir, cela ne vous fait pas de mal, n’est-ce pas, que je vienne vous voir dormir ? Qu’est-ce que cela vous fait que je sois là quand vous avez les yeux fermés ? Maintenant je vais m’en aller. Tenez, je me suis mis derrière le mur. Vous pouvez rouvrir les yeux. »
Il y avait quelque chose de plus plaintif encore que ces paroles, c’était l’accent dont elles étaient prononcées. L’égyptienne touchée ouvrit les yeux. Il n’était plus en effet à la lucarne. Elle alla à cette lucarne, et vit le pauvre bossu blotti à un angle de mur, dans une attitude douloureuse et résignée. Elle fit un effort pour surmonter la répugnance qu’il lui inspirait. « Venez », lui dit-elle doucement. Au mouvement des lèvres de l’égyptienne, Quasimodo crut qu’elle le chassait ; alors il se leva et se retira en boitant, lentement, la tête baissée, sans même oser lever sur la jeune fille son regard plein de désespoir. « Venez donc », cria-t-elle. Mais il continuait de s’éloigner. Alors elle se jeta hors de sa cellule, courut à lui, et lui prit le bras. En se sentant touché par elle, Quasimodo trembla de tous ses membres. Il releva son œil suppliant, et, voyant qu’elle le ramenait près d’elle, toute sa face rayonna de joie et de tendresse. Elle voulut le faire entrer dans sa cellule, mais il s’obstina à rester sur le seuil. « Non, non, dit-il, le hibou n’entre pas dans le nid de l’alouette. »
Alors elle s’accroupit gracieusement sur sa couchette avec sa chèvre endormie à ses pieds. Tous deux restèrent quelques instants immobiles, considérant en silence, lui tant de grâce, elle tant de laideur. À chaque moment, elle découvrait en Quasimodo quelque difformité de plus. Son regard se promenait des genoux cagneux au dos bossu, du dos bossu à l’œil unique. Elle ne pouvait comprendre qu’un être si gauchement ébauché existât. Cependant il y avait sur tout cela tant de tristesse et de douceur répandues
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