Retour à l'Ouest
la Deuxième
Guerre mondiale
Comme on l’a vu, Serge connaît bien l’Allemagne et l’Autriche
pour y avoir séjourné entre 1922 et 1926 comme journaliste et agent du
Komintern. Il a vécu à Berlin la crise de 1923 avec le putsch d’Hitler à Munich
et celui des communistes, mal dirigés par Moscou, à Hambourg – un fiasco qui
entraîna une répression féroce et mit fin à la période révolutionnaire de l’après-guerre
en Allemagne. Son analyse marxiste – somme toute assez classique – présente la
montée des fascismes comme des contre-révolutions préventives pendant une
période de crise sociale où ni la classe ouvrière ni les classes possédantes ne
peuvent s’imposer. Il retrace « Les origines du fascisme » italien
dans la crise provoquée par les grandes grèves révolutionnaires d’après guerre
– que Mussolini même soutenait avant de devenir un
condottiere
au service des classes possédantes. Pour
Victor Serge, « le fascisme italien n’a pas pris le pouvoir : il l’a
reçu des mains du roi et de la bourgeoisie libérale défaillante. Il s’est
imposé, grâce à une incohérence étoffée d’antisocialisme, comme une sorte de
milice volontaire au service d’une réaction patronale, financière, aristocratique,
monarchique, trop faible pour combattre à visage découvert. Il a réussi une
contre-révolution préventive parce que la classe ouvrière n’avait pas osé, en
raison d’une situation internationale assez périlleuse, assumer toutes les
responsabilités du pouvoir. Peu de temps après s’être affermi au pouvoir, Mussolini
ordonnait l’épuration de son parti, afin d’en exclure les révolutionnaires de
la première heure qu’il avait fourvoyés et bernés ».
Quant à Hitler, « le pouvoir, il ne le prendra pas :
il le recevra des mains du vieux président Hindenburg, presque sourd et
nettement diminué dans ses facultés, manœuvré lui-même par les intrigues compliquées
de son entourage. La Reichswehr, les financiers, le patronat cherchent l’homme
d’un pouvoir fort pour sauver un système en désagrégation. Ils le trouvent en
Adolf Hitler, parce que les héritiers naturels du capitalisme allemand font
défaut. Le prolétariat est divisé et fatigué… Les communistes, dirigés de l’extérieur
par l’Internationale stalinienne, poursuivent une politique criminelle qui
consiste à dénoncer la social-démocratie comme l’ennemi numéro 1 et à faire
bloc, contre elle, à des heures décisives, avec les nazis » (« Un puissant faux prophète »). D’ailleurs, il
reviendra encore quatre fois sur la carrière d’Hitler [30] .
En ce qui concerne le sort des Juifs d’Europe, Serge y
consacre des « Remarques sur
l’antisémitisme », expose le « Drame des Juifs d’Allemagne »
persécutés, démonte la supercherie antisémite des supposés «
Protocoles des Sages de Sion
» et
dénonce dans un article magistral les
Bagatelles pour un massacre
de l’écrivain antisémite
Louis-Ferdinand Céline (« Pogrome en quatre
cents pages »). Par ailleurs, Serge se penche aussi sur « Les Juifs et la révolution » russe, « Le Birobidjan, République juive »
ainsi que sur les épurations de communistes israélites (« Juifs de Russie »).
Comme on l’a vu, Serge analyse de près les préparatifs de la
guerre des côtés russe et allemand. Mais il étudie aussi la guerre en Asie avec
des chroniques sur la dissolution, sous les ordres de Staline, de la Chine
soviétique établie par Mao (« La fin d’une épopée »),
sur l’invasion japonaise (« La guerre de Chine »),
et une série de cinq articles sur l’« Alarme
en Extrême-Orient » dont « La
thèse japonaise », « Blücher »,
« La thèse chinoise », et « Tchang Kaï-chek ». D’ailleurs, Serge
continuera tout au long de la Deuxième Guerre mondiale à suivre de près cette
première guerre véritablement « mondiale » afin d’analyser les
stratégies et les rapports de force entre nations combattantes sur tous les
fronts. Dans son exil mexicain, il écrira régulièrement des analyses très
fouillées de ce qu’il appelle « la guerre des moteurs » – sans espoir
de publication [31] .
L’histoire, les livres, les idées
Serge consacre près d’un quart de ses chroniques à ces
sujets généraux sans pour autant les abstraire de l’actualité. Parfois il pose
les grandes questions comme dans « Le sens
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