Révolution française Tome 2
République
suisse est née.
Le Directeur Reubell, né à Colmar, n’a eu de cesse que de
réussir à annexer Mulhouse.
Et chaque fois qu’est créée une République sœur, le
Directoire puise dans ses caisses pour alimenter le Trésor national.
Comment dans ces conditions rester l’ Unique, illuminé
par la gloire, et apparaître comme celui qui peut arracher le pouvoir des mains
de ces Directeurs corrompus ?
Bonaparte s’interroge.
Il a parcouru les côtes de la Manche, découvert que l’armée
d’Angleterre, qu’il commande, ne pourra jamais briser le blocus de la flotte
anglaise. Tenter de le faire « est un coup de dés trop chanceux, dit
Bonaparte. Je ne veux pas jouer ainsi le sort de cette belle France. »
Et le sien.
Il rentre à Paris, étudie ce rapport que Talleyrand a soumis
au Directoire.
Le ministre préconise la conquête de l’Égypte, moyen de
tourner l’Angleterre « sous les rapports du commerce soit de l’Inde, soit
d’ailleurs ».
Et Talleyrand suggère que cette entreprise soit confiée au
général Bonaparte.
Moyen commode de l’éloigner, de l’enliser dans les sables de
l’Orient, en paraissant lui offrir une nouvelle gloire alors que chacun pense
qu’il s’agit là d’une victoire impossible, à supposer même que l’on réussisse à
traverser la Méditerranée, en échappant à la flotte anglaise.
Bonaparte n’ignore rien des intentions du Directoire.
Mais, dit-il :
« Je ne veux pas rester ici. Il n’y a rien à faire. Les
Directeurs ne veulent entendre à rien. Je vois que si je reste je suis coulé
dans peu. Tout s’use ici. Je n’ai déjà plus de gloire, cette petite Europe n’en
fournit pas assez. Il faut aller en Orient, toutes les grandes gloires viennent
de là. »
Il dicte ses conditions aux Directeurs : autorité
illimitée, faculté de nommer à tous les emplois, droit d’opérer son retour en
France quand il le voudra…
Le 15 ventôse (5 mars 1798) le Directoire décide une
expédition en Égypte, en donne le commandement à Napoléon Bonaparte, aux
conditions qu’il a fixées.
Bonaparte va quitter Paris, la France. On cessera d’entendre
son sabre traîner sur le sol.
Et qui peut croire qu’il échappera au piège que viennent de
lui tendre les Directeurs et son imagination ?
33.
Bonaparte sait que les Directeurs souhaitent que l’Égypte
soit son tombeau.
Ils veulent conserver à tout prix le pouvoir face à une
opinion qui les rejette et qu’ils craignent d’autant plus que le 9 avril 1798 (20
germinal an VI) les assemblées électorales vont se réunir pour renouveler plus
de la moitié du Corps législatif, quatre cent trente-sept députés sur sept cent
cinquante.
Barras, habile politique au flair aiguisé, sent bien la
force du mouvement de rejet qui monte du pays.
On veut « crever les ventres pourris ».
On crie « Sus à la corruption ».
On crache avec fureur quand on entend prononcer le nom de
Barras, de Merlin de Douai.
On dit que ce dernier entretient un harem de demoiselles.
Que Reubell, entouré de fripons, se gave.
Que La Révellière-Lépeaux n’est qu’un tartuffe avec sa
religion théophilanthropique, dont il est le bigot.
Et le nouveau Directeur – il remplace François de
Neufchâteau – Treilhard, un conventionnel régicide, est une brute enrichie.
Les ministres sont aussi corrompus que les Directeurs.
Ramel n’est au ministère des Finances que le serviteur des
nouveaux riches, l’homme dont la banqueroute des deux tiers a ruiné les
rentiers.
Talleyrand est une « pourriture », ses salons des « latrines
publiques ».
Il a été dénoncé devant le Congrès des États-Unis par le
président John Adams pour avoir essayé d’extorquer à des envoyés des États-Unis,
arrivés à Paris pour négocier, d’énormes pots-de-vin. Les Américains ont refusé,
regagné les États-Unis et averti le président Adams.
Mais Talleyrand continue de se pavaner dans son hôtel de
Galliffet.
Barras s’inquiète.
Les électeurs peuvent, en dépit de leurs différences, se
coaliser, élire des « anarchistes » ou des royalistes. Et s’ils
obtiennent la majorité aux Conseils des Cinq-Cents et des Anciens – Barras le
craint –, ils renouvelleront les Directeurs.
Adieu le pouvoir ! Adieu le luxe et les femmes, l’argent
et la soie ! Adieu, les agapes chez les restaurateurs du Palais-Royal !
Et c’est pour empêcher que cette
Weitere Kostenlose Bücher