Révolution française Tome 2
VI).
Il rentre chez lui, rue Chantereine. Joséphine n’a pas
encore regagné Paris.
La rue a changé de nom. Elle s’appelle désormais « rue
de la Victoire ».
32.
Il est là « chez sa femme ».
La foule se presse rue de la Victoire pour l’apercevoir,
« pâle sous les longs cheveux noirs », le visage osseux, le menton
affirmé, l’expression volontaire, maigre, serré dans une redingote noire, marchant
d’un pas saccadé, ne paraissant pas voir ces citoyens qui l’acclament :
« Vive Bonaparte ! Vive le général en chef de l’armée
d’Italie ! »
Que pense-t-il ?
Les Directeurs, les ministres, les députés s’interrogent.
A-t-il vraiment dit : « Si je ne puis être le
maître je quitterai la France » ?
Tous veulent le rencontrer, le sonder.
On murmure déjà – et certains journaux le répètent en ces
jours de frimaire an VI (décembre 1797) qui suivent son arrivée à Paris – qu’il
aspire à la dictature.
Le Directeur Reubell, soupçonneux, le reçoit à dîner, dès le
8 décembre. Bonaparte reste le plus souvent silencieux, laissant Reubell
évoquer avec le patriote suisse Pierre Ochs assis à sa gauche le soutien que la
République française doit apporter aux patriotes suisses qui veulent
transformer leur pays en une République sœur, « une et indivisible ».
Mais il faut pour cela, en s’appuyant sur le canton de Vaud,
chasser les Bernois, les vaincre. Et il faut charger le général Brune, ancien
membre du club des Cordeliers, un ami de Marat, un républicain résolu, de cette
mission.
Bonaparte approuve d’un simple mouvement de tête. Il ne veut
pas se découvrir. Il doit paraître modeste, respectueux du Directoire.
Deux jours plus tard, c’est le ministre des Relations
extérieures, Talleyrand, qui l’invite en son hôtel de Galliffet, rue du Bac.
De l’ancien évêque d’Autun, qui a prudemment vécu hors de
France durant la Terreur, on murmure le pire ; qu’il loue ses services à l’Autriche,
à la Prusse ou à l’Angleterre, fort cher, favorisant l’une ou l’autre puissance
en fonction des sommes qu’on lui offre.
« Tout s’achète ici, a dit le représentant de la Prusse
à Paris. Le ministre des Relations extérieures aime l’argent et dit hautement
que sorti de sa place il ne veut pas demander l’aumône à la République. »
Talleyrand accueille Bonaparte dans les salons de l’hôtel de
Galliffet avec une prévenance un peu ironique et distante, en grand seigneur, le
cou enveloppé dans une cravate très haute, la poitrine serrée dans une
redingote large.
Talleyrand parle d’une voix grave. Il domine Bonaparte de la
tête et des épaules. Il a convié en son hôtel une foule de personnalités
désireuses de voir ce général victorieux.
On entoure Bonaparte, on le félicite.
« Citoyens, dit Bonaparte, je suis sensible à l’empressement
que vous me montrez. J’ai fait de mon mieux la guerre et de mon mieux la paix. C’est
au Directoire à savoir en profiter, pour le bonheur et la prospérité de la République. »
Cette prudence et cette mesure inquiètent plus qu’elles ne
rassurent. Bonaparte a la modestie éclatante ! Et les Directeurs s’en
méfient.
Mais il faut l’engluer dans les honneurs, et le Directoire
organise au palais du Luxembourg une réception à la gloire du « général
pacificateur ».
En arrivant au palais ce 10 décembre 1797 (20 frimaire an VI)
Bonaparte paraît ne pas entendre la foule enthousiaste qui s’est rassemblée
dans les rues qui conduisent au palais.
On crie : « Vive Bonaparte ! Vive le général
de la grande armée ! »
Les cinq Directeurs qui l’accueillent dans leur costume d’apparat
brodé d’or, leurs dentelles, leurs grands manteaux, leur chapeau noir retroussé
d’un côté et orné d’un panache tricolore, ressemblent à des mannequins raides.
Barras est le plus majestueux.
Bras croisés, il toise Bonaparte comme s’il voulait lui
rappeler que c’est lui qui est à l’origine de cette gloire, de cette fortune et
même de ce mariage avec Joséphine, et qu’il n’oublie pas le désarroi, la pauvreté,
de ce Buonaparte qui traînait son sabre et son ambition.
Et maintenant, voici Napoléon Bonaparte accueilli par
Talleyrand qui au nom du Directoire tresse des lauriers au général victorieux.
« Personne n’ignore, dit Talleyrand, son mépris profond
pour l’éclat, pour le luxe, pour le faste, ces
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