Révolution française Tome 2
cortège qui l’accompagne.
« Il a beau être crâne, furieux, fanatique, sanguinaire,
la victoire qu’il a remportée l’a rendu encore plus cher à son ami le peuple
des faubourgs »… constate un témoin, qui ajoute : « Ce peuple a
besoin d’idolâtrer quelqu’un. Il n’a point l’âme fière d’un républicain. Il est
le même qui criait naguère “Vive le roi !”. Son idolâtrie n’a fait que
changer d’objet. Il crie “Vive Marat !” ? Il a substitué une idole à
une autre. »
Et le témoin poursuit :
« Et les Girondins ont fait la gaucherie d’envoyer
Marat devant un tribunal tout composé de ses amis ! Marat et ses partisans
se vengeront de cet affront. La porte du Tribunal révolutionnaire a été ouverte
aux députés mêmes, par des députés ! Quelle inconséquence, quel oubli de
bon sens, et de sa propre dignité ! Marat se fera un plaisir et un devoir
d’y envoyer aussi quelque Girondin et qui ne sera pas jugé aussi favorablement
qu’un Jacobin. »
Les haines entre « patriotes » sont si puissantes
qu’on en oublie la menace extérieure, et la grande armée catholique et royale
qui continue de se renforcer dans les départements de l’Ouest.
On ignore ces royalistes qui, commandés par un ancien député
à la Constituante, Charrier, se rassemblent en Lozère, s’emparent de Marvejols
et de Mende, et y massacrent les républicains.
On néglige ces Girondins et ces royalistes qui renforcent
leur pouvoir à Lyon, après avoir fait emprisonner le Jacobin Chalier, ancien
maire de la ville.
À Paris même, le Bulletin national rapporte que :
« On a trouvé aujourd’hui dans plusieurs endroits de la
ville des cartes taillées en forme d’hirondelles et renfermant un papier bleu
aux armes de la France et ces mots, écrits en jaune, “Vive le roi !”. De
quatre jeunes gens surpris sur le Pont-Neuf, criant “Vive le roi !”, trois
ont été arrêtés, le quatrième s’est jeté par-dessus le pont, dans la rivière. »
Ces « ennemis de la patrie », le Tribunal
révolutionnaire les condamne à mort.
« Ils meurent avec un courage et une fermeté qui
tiennent de l’enthousiasme, écrit le libraire Ruault. Ces criminels d’une
nouvelle espèce vont à l’échafaud avec un héroïsme qui attendrit et qui fait
peur. Ils se croient des martyrs. Les patriotes mourraient aussi s’ils étaient
vaincus. Qui meurt pour son opinion doit être plaint, respecté et admiré. Mais
il est triste, il est cruel, il est affreux, d’en venir à des extrémités aussi
terribles. »
Mais ces jours de la fin mai 1793 ne sont pas voués à la
compréhension de l’autre, à la compassion.
C’est la haine qui imprègne l’atmosphère de Paris.
« Le thermomètre de cette ville est au degré fixe de la
terreur », écrit le Girondin Gorsas.
Les sans-culottes en armes, délégués des sections, envahissent
les tribunes de la Convention, puis la salle qu’ont fuie les députés girondins
comme ceux de la Plaine. Et les Montagnards restés seuls en séance ordonnent la
libération de Varlet, de Dobsen, et la dissolution de la Commission des Douze. Mais
le lendemain, 28 mai, les députés qui ne sont plus menacés rétablissent la
Commission des Douze, par deux cent soixante-dix-neuf voix contre deux cent
trente-huit.
La majorité est donc girondine, modérée.
Mais dans les sections on se rassemble, on s’arme, et dans
la nuit du 30 au 31 mai, le tocsin sonne, les tambours battent la générale, le
canon d’alarme tonne sur le Pont-Neuf. Dix-huit coups sont tirés, très espacés.
Il est déjà entre onze heures et midi ce 31 mai.
Les députés siègent depuis six heures du matin.
La voix tonitruante d’Hanriot, qui commande les gardes
nationaux, résonne.
« Quand il parle, rapporte un observateur de police, on
entend des vociférations semblables à celles des hommes qui ont un scorbut, une
voix sépulcrale sort de sa bouche et, quand il a parlé, sa figure ne reprend
son assiette ordinaire qu’après des vibrations dans les traits, il donne de l’œil
par trois fois et sa figure se met en équilibre. »
« Je demande que le commandant général soit mandé à la
barre et que nous jurions de mourir tous à notre poste », dit le Girondin
Vergniaud.
« Le canon a tonné, répond Danton sous les
applaudissements des députés montagnards et des citoyens des tribunes. Paris a
encore bien mérité de la patrie… Il faut donner
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