Si c'est un homme
des vivres ; il nous a fallu des semaines et des mois pour en reconnaître le son en allemand. Et pendant plusieurs jours, lorsqu'un vieux réflexe me pousse à regarder l'heure à mon poignet, une ironique substitution m'y fait trouver mon nouveau nom, ce numéro gravé sous la peau en signes bleuâtres.
Ce n'est que beaucoup plus tard que certains d'entre nous se sont peu à peu familiarisés avec la funèbre science des numéros d'Auschwitz, qui résument à eux seuls les étapes de la destruction de l’hébraïsme en Europe. Pour les anciens du camp, le numéro dit tout : la date d'arrivée au camp, le convoi dont on faisait partie, la nationalité. On traitera toujours avec respect un numéro compris entre 30000 et 80000 : il n'en reste que quelques centaines, qui désignent les rares survivants des ghettos polonais. De même, il s'agit d'ouvrir l'œil si on doit entrer en affaires avec un 116000 ou un 117000 : ils ne sont plus qu'une quarantaine désormais, mais ce sont des Grecs de Salonique, et ils ont plus d'un tour dans leur sac Quant aux gros numéros, il s'y attache une note essentiellement comique, comme aux termes de «
bleus » ou de « conscrits » dans la vie courante • le gros
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numéro par excellence est un individu bedonnant, docile et mais, à qui vous pouvez faire croire qu'a l'infirmerie on distribue des chaussures en cuir pour pieds sensibles, et qui est capable sur votre instigation d'y courir séance tenante en vous laissant sa gamelle de soupe « à garder »
, vous pouvez lui vendre une cuillère pour trois rations de pain, vous pouvez même l'envoyer demander (comme cela m'est arrivé ') au Kapo le plus féroce du camp si c'est bien lui qui commande le Kartoffel-schalkommando, le Kommando d'Epluchage de Patates, et s'il est possible de s'y faire enrôler.
C'est d'ailleurs tout le processus d'intégration dans cet univers nouveau, qui nous apparaît sous un jour grotesque et dérisoire
L'opération de tatouage achevée, on nous a enfermés dans une baraque ou on nous a laissés seuls. Les couchettes sont faites, mais on nous a formellement interdit d'y toucher et de nous asseoir dessus : nous passons donc la demi-journée à tourner en rond dans le peu d'espace disponible, toujours tenaillés par la soif.
Puis la porte s'ouvre, un garçon en costume rayé entre, petit, maigre, blond, l'air plutôt poli II parle français; nous nous précipitons sur lui à plusieurs, le submergeant de toutes les questions que nous nous sommes jusque-là vainement posées entre nous
Mais il n'a pas envie de parler ; ici, personne ne parle volontiers Nous sommes nouveaux, nous n'avons rien et nous ne savons rien, à quoi bon perdre son temps avec nous9 II nous explique de mauvaise grâce que tous les autres sont au travail et qu'ils rentreront le soir. Lui, il est sorti ce matin de l'infirmerie, et pour aujourd'hui on l'a dispense de travail Je lui ai alors demandé (avec une naïveté qui devait me paraître inouïe dès les jours suivants) si on nous rendrait au moins nos brosses à
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dents ; et lui, sans rire, m'a lancé avec un air de profond mépris : « Vous n'êtes pas à la maison (1) » C'est le refrain que nous nous entendons répéter de partout .
vous n'êtes plus chez vous; ce n'est pas un sanatorium, ici, d'ici, on n'en sort que par la cheminée (le sens de ces paroles, nous ne devions que trop bien le comprendre par la suite)
Et justement, poussé par la soif, j'avise un beau glaçon sur l'appui extérieur d'une fenêtre J'ouvre, et je n'ai pas plus tôt détaché le glaçon, qu'un grand et gros gaillard qui faisait les cent pas dehors vient à moi et me l'arrache brutalement. « Warum ? » dis-je dans mon allemand hésitant. « Hier ist kein warum » (ici il n'y a pas de pourquoi), me répond-il en me repoussant rudement à l'intérieur.
L'explication est monstrueuse, mais simple en ce heu, tout est interdit, non certes pour des raisons inconnues, mais bien parce que c'est là précisément toute la raison d'être du Lager. Si nous voulons y vivre, il nous faudra le comprendre, et vite.
« Ici, le Saint-Voult ne se montre, Ici, Von nage autrement qu'en ton Serque (2) »
(2)
En
français
dans
le
texte
original,
comme
le
sont
également
les
autres
phrases
et
les
autres
mots
qui
figurent
en
italique
dans
ce
récit
Dante,
la
Divine
Comédie,
Enfer,
en
XXI
Le
Saint-‐Voult
était
un
antique
crucifix
byzantin
qu'on
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