Spartacus
sur la neige, que les taches noires des corps et les rouges auréoles du sang.
Spartacus entendit l’éclat d’une trompette, puis un martèlement sourd. Il se retourna : les Romains avançaient sur deux lignes. Ils portaient leur bouclier rectangulaire et plat accroché au bras gauche et achevaient les blessés avec leur javelot ou leur glaive. Une cuirasse aux reflets argentés enserrant son buste, le métal travaillé reproduisant les muscles de son torse, un homme de haute taille marchait au milieu d’eux. Son casque s’ornait d’un panache allant d’une oreille à l’autre.
Il fit un signe et les légionnaires s’arrêtèrent alors que lui-même continuait à se diriger vers Spartacus.
Il s’immobilisa à quelques pas, surpris de voir Apollonia et les trois prêtresses de Dionysos s’approcher de Spartacus que ses guerriers thraces entouraient.
— Tu t’es battu comme un Romain, dit le centurion.
Il parlait grec.
— Les dieux vous ont envoyés, toi et les tiens, au moment le plus incertain de la bataille, continua-t-il. Tu as taillé dans le corps de ces Barbares comme on émonde un arbre. Qui es-tu ?
— Et toi ? demanda Spartacus.
Il avait gardé son glaive hors du fourreau. La neige qui tombait en rafale enveloppait les légionnaires romains d’un voile épais et blanc. Mais les cottes de mailles, les casques et les armes dessinaient des formes sombres.
— Je suis le centurion primipile qui commande la première cohorte de la VII e Légion de la République romaine, répondit-il.
Il se tourna vers ses soldats.
— Voici tout ce qui reste de ma centurie. Les Daces sont aussi dangereux que les loups des montagnes de Thrace, que les fauves d’Afrique et que les serpents de Macédoine.
Il fit un nouveau pas.
— Mon nom est Nomius Castricus.
Il était maintenant si proche de Spartacus que celui-ci distinguait la large cicatrice qui fendait la joue droite du centurion.
— Je ne sais toujours rien de toi, reprit Castricus. Sinon – et cela m’a satisfait – que tu t’es battu pour Rome contre les Barbares. Mais qui es-tu ?
— J’appartiens au peuple mède, l’un de ceux dont la Thrace est le pays.
Il frappa la neige durcie du talon.
— C’est notre terre. Elle est libre, comme les hommes qui la possèdent.
— Tu es fier, remarqua Castricus.
— La lignée des Spartacus a régné sur les tribus de Kertch, au bord de la mer.
Nomius Castricus resta silencieux, contemplant autour de lui cette neige couverte de morts et de sang. Puis, d’un geste lent, il saisit la garde de son glaive et recula d’un pas, se tournant vers ses hommes immobiles qui ne l’avaient pas quitté des yeux, leurs javelots et leurs glaives appuyés à l’épaule droite, le corps légèrement penché en avant, comme prêts à s’élancer contre ces guerriers thraces dont l’attitude résolue les étonnait, les inquiétait.
Il y eut même des murmures d’impatience quand ils sentirent que Nomius Castricus hésitait, évaluant peut-être le temps qu’il faudrait à ses hommes pour le rejoindre et les chances qu’il aurait, en frappant le premier, d’abattre ce chef des Thraces dont le ton orgueilleux l’avait irrité.
Tout à coup, l’une des femmes, celle aux longs cheveux blonds, esquissa un pas de danse, faisant virevolter ses bras, et les trois autres jeunes femmes formèrent autour d’elle une ronde. C’était comme une fleur qui s’ouvrait, les corps s’inclinant en arrière, les cheveux traînant jusque dans la neige.
Nomius Castricus croisa les bras.
— Connais-tu la puissance de Rome ? demanda-t-il. Il n’est pas un rivage de cette mer dont tu me parles que ses légions n’aient foulé du pied et conquis. Pas un peuple qui ait osé se dresser contre elle et qui n’ait dû s’agenouiller devant ses emblèmes, reconnaître la majesté de ses aigles et leur puissance.
D’un mouvement de tête, Castricus avait montré les enseignes de Rome dont des légionnaires avaient planté les hampes dans la neige.
— Rome est généreuse pour les peuples qui deviennent ses alliés, reprit Castricus. Si tu veux rester fort et fier, Thrace, sois avec elle comme tu l’as été aujourd’hui ; ne quitte jamais ce chemin !
Brusquement, Spartacus avait levé son glaive et Nomius Castricus avait reculé, empoignant son arme.
— Rome veut-elle mon glaive et le bras qui le tient ? dit Spartacus.
Il avait marché vers ses guerriers. Le cercle des
Weitere Kostenlose Bücher