Spartacus
autres.
Comme depuis la première nuit, Spartacus et Apollonia se tenaient à l’écart, restant sur le seuil de la grotte à fixer les feux romains qui illuminaient, au-delà de la forêt, l’horizon.
— Ils ont la force des chasseurs, murmurait Spartacus. Nous avons l’instinct des loups. Mais, à la fin, les chasseurs tuent les loups et les écorchent pour se faire des vêtements de leurs peaux et de leur pelage.
Spartacus était assis jambes croisées, les mains sur les genoux, le dos droit, regardant devant lui.
— Je ne veux pas connaître le sort d’un loup, avait-il ajouté.
— Tu veux donc devenir chasseur ?
Il avait baissé la tête, le menton calé sur la poitrine.
Apollonia avait posé la main sur la nuque de Spartacus.
— Tu ne seras jamais romain, lui avait-elle dit. Tu resteras toujours un loup de Thrace. Les Romains te lieront bras et jambes. Tu seras leur esclave !
— Je deviendrai un soldat de leurs légions. Je porterai leur armure. Je serai plus courageux et plus fort que n’importe lequel d’entre eux. Ils reconnaîtront en moi le fils de roi, le guerrier.
— Ils te traiteront comme une bête sauvage. Et tu vaudras moins qu’un cheval.
Spartacus avait secoué la tête afin qu’Apollonia retire sa main.
— Je serai l’un d’eux, avait-il répété en se levant.
5
L’hiver vint. Il fallut disputer les chevreaux aux loups. Leurs meutes affamées s’approchaient si près du feu sur lequel grillait la viande qu’Apollonia disait apercevoir leurs yeux gris malgré les bourrasques de neige.
Elle invoquait Dionysos afin qu’il chassât ces bêtes aussi sauvages et aussi cruelles que les Daces, ces barbares venus du Nord, d’au-delà le grand fleuve, et que le vent glacial semblait pousser vers la Thrace.
Un jour qu’il faisait un froid si rigoureux que la neige et la terre gelées craquaient sous les pas et que les pierres éclataient avec un bruit de foudre, Apollonia écarta les bras, demandant à chacun de se taire afin qu’elle pût mieux entendre le choc des lames qui se heurtaient, les cris des blessés. Elle décrivit tout cela, que personne ne percevait, mais Dionysos lui avait donné le pouvoir de prédiction, celui d’entendre les bruits lointains et de voir ce qui n’était pas encore apparu.
Spartacus disait qu’elle était comme une louve qui, alors que rien ne bouge, dresse les oreilles et sent l’ennemi.
— Les Daces ! Ils vont vaincre, avait-elle murmuré d’un ton las.
Elle savait qu’elle ne pourrait retenir Spartacus et les guerriers. Déjà ils tiraient leurs glaives, s’élançaient dans la direction que, bras tendu, Apollonia leur indiquait.
Elle courut derrière eux dans le sous-bois. Ils cassaient ou pliaient les branches d’un coup d’épaule, et la neige tombait sur le sol avec un bruit d’étoffe froissée. La couche blanche était si épaisse et si dure qu’on ne s’y enfonçait pas. La surface brillante crissait sous les pas et s’étoilait sans se briser.
Spartacus surgit ainsi, entouré de ses guerriers, dans une clairière et y vit des hommes qui s’affrontaient, glaives et javelots brandis. À leurs longs cheveux noirs rassemblés en touffe au sommet de leur nuque, il reconnut les Daces et il se précipita sur eux, glaive levé. Les Daces étaient plusieurs centaines, mais ils furent surpris par cet assaut qui les prenait à revers.
À cet instant, malgré la neige qui recommençait à tomber, Spartacus aperçut les emblèmes romains, les aigles, les casques et les armures des légionnaires. Les Daces encerclaient une centurie romaine qui formait, avec ses boucliers, une sorte de carapace contre laquelle venaient se briser lances, javelots, épieux acérés. Mais le nombre des Barbares était tel que la centurie allait être submergée. Les Daces piétinaient les cadavres de leurs guerriers qui constituaient autour de la centurie romaine un marchepied permettant, en l’escaladant, de se jeter par-dessus les boucliers au beau milieu des légionnaires.
C’est alors que Spartacus et sa troupe avaient surgi. Leurs cris furent si puissants, leur attaque si violente, leur élan si grand que les Daces crurent que des centaines d’hommes les assaillaient.
Ils commencèrent alors à fuir vers la forêt cependant que Spartacus et les guerriers de Thrace les poursuivaient, les frappant à la gorge ou à la nuque à grands coups de glaive.
Il n’y eut bientôt plus dans la clairière,
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