Terribles tsarines
tous les « coupables » à la roue, à l'écartèlement et à la décapitation. Cette sentence exemplaire offre à Élisabeth l'occasion de décider, au cours d'un bal, qu'elle gardera la vie sauve aux misérables qui ont osé conspirer contre elle et qu'on se bornera pour eux à une « leçon » en public. A l'annonce de cette extraordinaire mesure de clémence, toute l'assemblée célèbre en chœur la bonté évangélique de Sa Majesté.
Le 31 août 1743, un échafaud est dressé devant le palais des Collèges. En présence d'une énorme affluence de curieux, Mme Michel Bestoujev est brutalement déshabillée par le bourreau. Comme elle a eu le temps de lui glisser un bijou de valeur en forme de croix avant le début du supplice, il se contente de lui effleurer le dos avec son fouet et de lui promener un couteau sur le bout de la langue, sans entailler la chair. Elle subit ces simulacres de coups et de blessures avec une dignité héroïque. Moins sûre de ses nerfs, Nathalie Lopoukhine se défend désespérément lorsque les aides du bourreau lui arrachent ses vêtements.La multitude reste muette de stupeur devant la nudité subitement révélée de cette femme que sa déchéance même embellit. Puis quelques spectateurs, avides d'assister à la suite, hurlent d'impatience. Prise de panique face à ce déchaînement de haine grossière, la malheureuse veut échapper à son tourmenteur, l'injurie et lui mord la main. Furieux, le bourreau lui serre la gorge, lui ouvre de force les mâchoires, brandit l'arme du sacrifice et, l'instant d'après, présente à la foule hilare un lambeau de viande dégoulinant de sang. « A qui la langue de la belle Mme Lopoukhine ? s'écrie-t-il. C'est un beau morceau et je le vendrai à bon compte ! A un rouble la langue de la belle Mme Lopoukhine 4 ! » Ce genre d'invitation à rire par un exécuteur des basses œuvres est monnaie courante à l'époque. Mais, cette fois, le public est plus attentif que d'habitude au déroulement des opérations, car Nathalie Lopoukhine vient de s'évanouir de douleur et de honte. Le bourreau la ranime à grands cinglons de knout. Quand elle est revenue à elle, on la jette dans un chariot et en route pour la Sibérie ! Son époux la rejoindra à Seleguinski, non sans avoir été préalablement et sévèrement fustigé. Il y mourra, quelques années plus tard, dans un total abandon. Mme Bestoujev traînera longtemps encore une vie misérable à Iakoutsk, souffrant de la faim, du froid et de l'in-différencedes habitants, qui hésitent à se compromettre en fréquentant une réprouvée. Pourtant, à Saint-Pétersbourg, son mari, Michel Bestoujev, le frère du chancelier Alexis Bestoujev, poursuit sa carrière dans la diplomatie et sa fille brille d'un bel éclat à la cour de Sa Majesté.
En réglant l'affaire Botta, Élisabeth a eu l'impression d'entreprendre le ménage qui s'imposait dans son empire. Alexis Bestoujev ayant gardé ses prérogatives ministérielles, malgré la disgrâce qui vient de frapper la plupart des siens, peut même se dire que son prestige a été renforcé par l'épreuve à laquelle il a échappé de justesse. Cependant, à Versailles, Louis XV persiste dans son intention d'envoyer La Chétardie en mission de reconnaissance auprès de la tsarine, qui, selon ses informateurs, ne serait pas fâchée de réitérer ses assauts à fleurets mouchetés avec un Français dont les galanteries l'ont naguère amusée. Mais elle est si versatile que, d'après les mêmes « connaisseurs de l'âme slave », elle est capable de se vexer pour une vétille et de faire une montagne d'une taupinière. Pour ménager la susceptibilité de cette souveraine à l'humeur changeante, le roi remet à La Chétardie deux versions d'une lettre d'introduction auprès de Sa Majesté. Dans l'une, l'émissaire de Versailles est présenté comme un simple particulier intéressé par tout ce qui touche à la Russie, dans l'autre comme un plénipotentiaire délégué par le roi auprès de « notre très chère sœur et très parfaite amie Élisabeth, impératrice et autocrate de toutesles Russies 5 ». La Chétardie choisira sur place la formule la mieux adaptée aux circonstances. Avec cette double recommandation en poche, c'est bien le diable s'il échoue, une fois de plus, dans sa besogne ! Brûlant les étapes, il arrive à Saint-Pétersbourg le jour même où l'impératrice fête le dixième anniversaire de son coup d'État. Amusée par
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