Traité du Gouvernement civil
pourquoi persuade-t-il, par toute sa conduite, des choses de cette nature ? Les peuples sont-ils à blâmer de ce qu'ils ont les sentiments de créatures raisonnables, de ce qu'ils font les réflexions que des créatures de cet ordre doivent faire, de ce qu'ils ne conçoivent pas les choses autrement qu'ils ne trouvent et ne sentent qu'elles sont ? Ceux-là ne méritent-ils pas plutôt d'être blâmes, qui font des choses qui donnent lieu à des mécontentements fondés sur de si justes raisons ? J'avoue que l'orgueil, l'ambition et l'esprit inquiet de certaines gens ont causé souvent de grands désordres dans les États, et que les factions ont été fatales à des royaumes et à des sociétés politiques. Mais, si ces désordres, si ces désastres sont venus de la légèreté, de l'esprit turbulent des peuples, et du désir de se défaire de l'autorité légitime de leurs conducteurs; ou, s'ils ont procédé des efforts injustes qu'ont faits les conducteurs et les Princes pour acquérir et exercer un pouvoir arbitraire sur leurs peuples; si l'oppression, ou la désobéissance, en a été l'origine, c'est ce que je laisse à décider à l'histoire. Ce que je puis assurer, c'est que quiconque, soit Prince ou sujet, envahit les droits de son peuple ou de son Prince, et donne lieu au renversement de la forme d'un gouvernement juste, se rend coupable d'un des plus grands crimes qu'on puisse commettre, et est responsable de tous les malheurs, de tout le sang répandu, de toutes les rapines, de tous les désordres qui détruisent un gouvernement et désolent un pays. Tous ceux qui sont coupables d'un crime si énorme, d'un crime d'une si terrible conséquence, doivent être regardés comme les ennemis du genre humain, comme une peste fatale aux États, et être traités de la manière qu'ils méritent.
231. Qu'on doive résister à des sujets, ou à des étrangers qui entreprennent de se saisir, par la force, de ce qui appartient en propre à un peuple, c'est de quoi tout le monde demeure d'accord; mais, qu'il soit permis de faire la même chose à l'égard des Magistrats et des Princes qui font de semblables entreprises, c'est ce qu'on a nié dans ces derniers temps : comme si ceux a qui les lois ont donné de plus grands privilèges qu'aux autres, avaient reçu par là le pouvoir d'enfreindre ces lois, desquelles ils avaient reçu un rang et des biens plus considérables que ceux de leurs frères; au lieu que leur mauvaise conduite est plus blâmable, et leurs fautes deviennent plus grandes, soit parce qu'ils sont ingrats des avantages que les lois leur ont accordés, soit parce qu'ils abusent de la confiance que leurs frères avaient prise en eux.
232. Quiconque emploie la force sans droit, comme font tous ceux qui, dans une société, emploient la force et la violence sans la permission des lois, se met en état de guerre avec ceux contre qui il l'emploie ; et dans cet état, tous les liens, tous les engagements précédents sont rompus ; tout autre droit cesse, hors le droit de se défendre et de résister à un agresseur. Cela est si évident, que Barclay lui-même, qui est un grand défenseur du pouvoir sacré des Rois, est contraint de confesser que les peuples, dans ces sortes de cas, peuvent légitimement résister à leurs Rois; il ne fait point difficulté d'en tomber d'accord dans ce chapitre même, où il prétend montrer que les lois divines sont contraires à toute sorte de rébellion. Il paraît donc manifestement, par sa propre doctrine, que puisque dans de certains cas on a droit de résister et de s'opposer à un Prince, toute résistance n'est pas rébellion.
Voici les paroles de Barclay * :
Quod si quis dicat, ergone populus tyrannicae crudelitati et furori jugulum semper prœbebit ? Ergone multitudo civitates suas fame, ferro et flamma vastari, seque conjuges, et liberos fortunae ludibrio et tyranni libidini exponi, inque omnia vit& pericula, omnesque miserias et molestia a Rege deduci patientur? Num illis quod omni animantium generi est a natura tributum, denegari debet, ut sc. vim vi repellant, seseque ab injuria tueantur? Huic breviter responsum sit, populo universo negari defensionem, quœ juris naturalis est, neque ultionem quœ proeter naturam est adversus Regem concedi debere. Quapropter si Rex non in singulares tantum personas aliquot privatum odium exerceat, sed corpus etiam reipublicœ, cujus ipse caput est, id est, totum populum, vel insignem aliquam ejus partent
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