Un bateau pour l'enfer
indésirables avaient enfin trouvé un asile.
Ces chiffres ne seront vraiment définitifs qu’à la veille de l’arrivée du Saint-Louis.
Ce soir-là, sur le navire, personne encore n’était au courant de ces rebondissements qui venaient de les ramener dans le monde des vivants.
Ce n’est que le lendemain, mercredi 14 juin, que Morris Troper leur télégraphia :
ARRANGEMENTS FINAUX POUR DÉBARQUEMENT TOUS PASSAGERS RÉALISÉS – STOP – GOUVERNEMENTS DE BELGIQUE HOLLANDE FRANCE ET ANGLETERRE ONT COOPÉRÉ MAGNIFIQUEMENT AVEC COMITÉ DE SECOURS AMÉRICAIN JOINT POUR RÉALISER CETTE POSSIBILITÉ
Le télégramme fut lu publiquement en présence du capitaine Schröder.
Aussitôt une clameur déferla sur la Manche. Elle se hissa jusqu’au ciel, dans un mélange de larmes de joie et de louanges au Seigneur. On riait, on s’enlaçait. On se répétait jusqu’à plus soif l’incroyable nouvelle.
La nuit venue, la piste de danse retrouva sa raison d’être et jamais l’orchestre ne joua avec autant de ferveur.
Les femmes avaient mis leur plus belle robe. Les hommes avaient ressorti leur smoking.
Ruth Singer ne valsait pas. Elle volait littéralement entre les bras de son mari.
« Libres ! Nous allons pouvoir retrouver notre fille et nos petits-enfants ! »
Josef Joseph s’empressa d’écrire au président-directeur général du Joint, James Rosenberg :
LES 907 PASSAGERS DU SAINT-LOUIS QUI ONT OSCILLÉ PENDANT TREIZE JOURS ENTRE ESPOIR ET DÉSESPOIR ONT REÇU CE JOUR VOTRE NOUVELLE QUI NOUS DÉLIVRE – STOP – NOTRE GRATITUDE EST AUSSI IMMENSE QUE LA MER SUR LAQUELLE NOUS NAVIGUONS DEPUIS LE 13 MAI– STOP – PARTIS PLEIN D’ESPÉRANCE EN L’AVENIR NOUS AVONS CONNU LA PLUS GRANDE DÉSESPÉRANCE – STOP – AGRÉEZ MONSIEUR LE PRÉSIDENT AINSI QUE LE JOINT AMÉRICAIN SANS OUBLIER LES GOUVERNEMENTS DE BELGIQUE DES PAYS-BAS DE LA FRANCE ET DE L’ANGLETERRE LES PLUS PROFONDS LES PLUS ÉTERNELS REMERCIEMENTS DES HOMMES DES FEMMES ET DES ENFANTS RÉUNIS PAR LE MÊME DESTIN À BORD DU SAINT-LOUIS
Le 14, le journal parisien Excelsior titrait :
FRANCE, ANGLETERRE, BELGIQUE ET HOLLANDE
SE PARTAGERONT LES RÉFUGIÉS INDÉSIRABLES
DU SAINT-LOUIS
[…] Le tri des contingents se fera à Southampton, lorsque le Saint-Louis y fera escale.
On retrouvait le même commentaire dans Le Petit Parisien, L’Œuvre ou encore Le Jour. Mais ces journaux se trompaient. Le tri était prévu à Anvers.
22
Le jeudi 15, à 11 h 15, une ultime séance de travail se tint à Paris dans les bureaux du ministère des Affaires étrangères. Elle réunissait M. Bussières, le chef de la Sûreté, M. Combes, sous-directeur général du ministère de l’Intérieur, MM. Fourcade et Farsat, représentant le même département, M. Seydoux, du ministère des Affaires étrangères, M me Louise Weiss, M. Cremer, délégué de l’ OSE , M. Malamede, délégué du HICEM , M. Lambert, responsable du Groupement de coordination des œuvres juives, Albert Lévy, du comité d’assistance, Bernard Auffray, du comité Mauriac, le révérend père Ricquet, qui représentait le cardinal Verdier, et enfin Morris Troper.
M. Bussières résuma la position française. En sus des deux cent cinquante passagers du Saint-Louis , l’État acceptait de recevoir les quatre-vingt-seize réfugiés qui se trouvaient à bord de l’ Orduna . Il ajouta : « Je regrette tout de même que nos amis américains se soient montrés incapables d’accueillir dans l’un de leurs ports des personnes qui, pourtant, bénéficiaient de visas d’immigration les autorisant à entrer aux États-Unis, préférant les renvoyer en Europe. »
En rentrant de la réunion, Troper reçut un appel de Holthusen, le directeur de la Hapag en Allemagne, qui lui signalait l’arrivée du Saint-Louis à Anvers dans l’après-midi du samedi 17 aux alentours de quinze heures. Une fois les formalités terminées, les réfugiés à destination de la France seraient transférés sur le SS Racotis (navire battant pavillon de la Hapag) qui les emmènerait ensuite à Boulogne.
Mais jusqu’au départ de Troper pour Anvers, les choses continuèrent d’évoluer et, finalement, la répartition des passagers fut établie comme suit :
Belgique : 214 ;
Angleterre : 288 ;
France : 224 ;
Pays-Bas : 181.
Installé à l’hôtel Century, à Anvers, le directeur européen du Joint consacra toute la journée du vendredi 16 juin à mettre en
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