Un caprice de Bonaparte
doutez pas surtout de ma détermination ! ( Silence. Puis d’une voix très calme : ) Par ailleurs, je vous serais très reconnaissant de m’éviter le recours à ces mesures extrêmes. Je déteste la violence aussi longtemps qu’ellene s’impose pas, et, malgré vos provocations, je peux dire que je vous ai ménagé jusqu’ici !
FOURÈS, ironiquement.
Ménagé ? Laissez-moi rire ! Oui, vous m’avez seulement fait enfermer !
FOUCHÉ.
Pour vous défendre contre vous-même !
FOURÈS.
En somme, vous êtes mon bienfaiteur ! Mille mercis ! Touchant, en effet, de voir avec quelle tendresse vous veillez tous sur cet idiot de Fourès : Bonaparte m’expédie en France comme courrier, Berthier dans les marais de Mansourah, vous en prison ! Tout cela par bonté d’âme, par ménagement, n’est-ce pas ? Et c’est aussi par mansuétude, vraisemblablement, que vous avez interdit à ma femme de me parler ?
FOUCHÉ.
Je n’ai jamais donné pareil ordre !
FOURÈS.
Vous mentez, car elle me l’a avoué elle-même ! Et ses domestiques m’ont chassé comme un chien !
FOUCHÉ.
Je l’ai ignoré, je vous en donne ma parole ! ( Après un instant de silence ) Ainsi donc, vous désirez parler à votre femme ?
FOURÈS.
Je ne désire pas, je l’exige comme un droit ; et j’insiste sur ce point.
FOUCHÉ.
Très bien. Quand voulez-vous la voir ?
FOURÈS.
Pas de tergiversations, s’il vous plaît ? Que sont ces manœuvres ? ( Il frappe du poing sur la table ) Je veux la voir immédiatement !
FOUCHÉ, calme.
Très bien. ( Il sonne. Fourès le regarde faire, un peu ahuri. Fouché, à l’huissier : ) Faites entrer Mme Fourès : elle est dans le bureau de mon secrétaire.
FOURÈS, nouvel accès de colère.
Ha ! ha ! Vous l’avez fait venir ici ? Un piège ! Sans doute achetée, elle aussi, et à votre service.
FOUCHÉ.
Une fois de plus, vous vous trompez, Fourès ! Je n’ai plus besoin de vous poser des pièges, je vous tiens trop bien pour cela ! Si j’ai permis cet entretien, c’est uniquement pour vous donner une dernière occasion d’entendre raison et pour que vous ne vous cassiez pas les reins inutilement. Je vous donne donc dix minutes. Employez-les bien. Je regretterais s’il en était autrement.
(Il quitte la pièce sans attendre la réponse de Fourès. Fourès, troublé, le regarde partir, s’essuie le front avec la main.)
BELLILOTTE entre et sursaute en se voyant seule avec Fourès.
François ! ( Fourès reste immobile. Dans une explosion de tendresse : ) François !
(Elle va vers lui. Le voyant impassible, elle s’arrête à mi-chemin, comme un enfant qui redoute une correction.)
FOURÈS, méprisant.
Allons, parle, répète ce qu’ils t’ont seriné !
BELLILOTTE, avec un sombre accent de reproche.
Que penses-tu... que penses-tu donc de moi ? ( Elle le regarde, émue. ) Mon Dieu, tu es tout gris ! Ce qu’ils ont dû te faire... J’ai toujours deviné qu’ils te maltraitaient... et tout cela à cause de moi... Tout cela uniquement parce que j’ai été faible et lâche... Ah, François, qu’ont-ils fait de nous !
FOURÈS, méchant.
De toi, une grande dame, voyons, une nouvelle Cléopâtre ! A moins qu’on ne t’ait délogée ? Après tout, il se peut qu’il t’ait déjà signifié ton congé, ton noble seigneur et maître ! ( Bellilotte se tait .) C’est bien ce que j’ai pensé : tu étais assez bonne pour l’Egypte, mais encombrante aux Tuileries ! Juste pour s’amuser, quoi – dûtcet amusement causer le déchirement d’un autre ! Qu’est-ce que ça peut bien lui faire la souffrance des autres pourvu qu’il se gorge de puissance ! Ah ! il sauverait cent mille vies humaines celui-là qui délivrerait le monde de ce criminel !
BELLILOTTE implorant, ou tendant les mains .
Non... non, François, ne dis pas de pareilles choses !
FOURÈS.
Faudrait peut-être bien lui lécher les bottes sous lesquelles il nous écrase, n’est-ce pas ? Je sais que tous le tiennent pour un grand homme : tu verras comme il saura les faire petits ! Car plus on les rosse, plus les gens vous respectent. Quant à moi, j’aime mieux crever que de m’incliner devant lui ! ( Silence. Fourès regarde Bellilotte et, presque compatissant :) Et maintenant... qu’est-ce que tu vas devenir,
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