Un Jour De Colère
peloton de
grenadiers de la Marine venu prendre position à l’hôtel des Postes la veille à
midi, est un officier prudent. De plus, les traditions de discipline de la
Flotte compensent sa jeunesse. Les ordres sont d’éviter les problèmes. Les
Français sont sur le pied de guerre, et l’on craint qu’ils n’attendent qu’un
prétexte sérieux pour frapper un grand coup qui ramènera la ville à la raison.
C’est ce qu’a dit la nuit précédente, vers les onze heures, le lieutenant
général don José de Sexti : un Italien au service de l’Espagne, personnage
peu sympathique, qui préside pour la partie espagnole la commission mixte
chargée de régler les incidents – de plus en plus fréquents – entre Madrilènes
et soldats français.
— Sur le pied de guerre, comme
je vous le dis, insistait Sexti. Les soldats de l’armée impériale font des
difficultés pour me laisser passer devant la caserne du Prado Nuevo, sans tenir
compte de mon uniforme… Tout cela sent très mauvais, je vous assure…
— Et il n’y a aucune
instruction précise ?
— Précise ?… Ne divaguez
pas, mon cher. La Junte de Gouvernement ressemble à un poulailler, et le renard
est à l’intérieur.
Les deux militaires en étaient là de
leur conversation quand ils ont entendu un bruit de chevaux qui les a fait
sortir à temps pour voir un fort parti de Français qui se dirigeait au galop
vers le Buen Retiro, sous la pluie, afin de rejoindre les deux mille hommes qui
y campent avec de l’artillerie. À ce spectacle, Sexti a filé en grande hâte,
sans prendre le temps de dire au revoir, et Esquivel a envoyé un nouveau
messager à ses supérieurs pour demander des instructions, sans recevoir de
réponse. En conséquence, il a mis ses hommes en état d’alerte et renforcé la
vigilance durant le reste de la nuit, qui lui a paru longue. Il y a un moment,
quand le peuple a commencé à se rassembler à la Puerta del Sol, il a donné
l’ordre à un caporal et à quatre hommes de demander aux gens de se
disperser ; mais personne n’obéit, et les groupes grossissent de minute en
minute. Ne pouvant faire plus, l’enseigne de frégate a donc commandé au caporal
et aux soldats de se retirer, et, dès le moindre incident, aux sentinelles de
rentrer et de fermer les portes. Même si une altercation éclatait, les
grenadiers ne pourraient pas réagir, ni dans un sens ni dans un autre. Ni eux
ni personne. Par ordre de la Junte de Gouvernement et de don Francisco Javier
Negrete, capitaine général de Madrid et de la Nouvelle-Castille, et pour
complaire à Murat, les troupes espagnoles ont été privées de munitions. Avec
dix mille soldats de l’armée impériale dans la ville, vingt mille disposés aux
alentours et vingt mille encore à seulement une journée de marche, les trois
mille cinq cents soldats de la garnison sont sans défense devant les Français.
« Autant la confiance et la
générosité de ce peuple envers les étrangers sont sans bornes, autant sa
vengeance est terrible quand on le trahit. »
Jean-Baptiste Antoine Marcellin
Marbot, fils et frère de militaires, futur général, baron, pair de France et
héros des guerres de l’Empire, pour l’heure simple capitaine de vingt-six ans
affecté à l’état-major du grand-duc de Berg, referme le livre qu’il tient dans
ses mains et consulte la montre posée sur la table de nuit. Aujourd’hui, il ne
doit pas prendre son service au palais Grimaldi avant dix heures et demie, avec
les autres officiers de Murat ; de sorte qu’il se lève sans hâte, termine
le petit déjeuner qu’un domestique de la maison où il loge lui a servi dans sa
chambre et se met en devoir de se raser près de la fenêtre en contemplant la
rue déserte. Le soleil qui passe à travers les vitres éclaire, disposé sur un
sofa et une chaise, son élégant uniforme d’aide de camp du grand-duc :
pelisse blanche, pantalon écarlate, bottes à l’allemande et colback de fourrure
à la hussarde. Malgré sa jeunesse, Marbot est un vétéran de Marengo,
Austerlitz, Iéna, Eylau et Friedland. Il a donc de l’expérience. Et c’est, de
plus, un militaire cultivé : il lit des livres. Cela lui donne une vision
des événements plus large que celle de beaucoup de ses camarades, partisans de
tout régler à coups de sabres.
Le jeune capitaine continue à se
raser. Un ramassis de culs-terreux abrutis et ignares, gouvernés par des
prêtres. C’est ainsi que, il y a peu,
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