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Vers l'orient

Vers l'orient

Titel: Vers l'orient Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gary Jennings
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temps, ils consentirent à me saluer de cette phrase, je me
sentis des leurs et en fus très fier.
    Ces enfants vivaient, tel un nid de rats des docks,
dans l’épave décrépite d’un vieux chaland de remorquage qui traînait dans la
boue au large, du côté de la cité donnant sur le Lagon mort. Au-delà se dresse
la petite île cimetière de San Michèle, l’île de la Mort. En réalité, ils ne
passaient dans cette coque humide et sombre que leurs heures de sommeil, celles
de la journée étant dévolues à la récupération de parcelles de nourriture ou de
vêtements. Leur alimentation reposait presque entièrement sur le poisson :
lorsqu’ils ne parvenaient pas à voler d’autres aliments, ils pouvaient toujours
descendre au marché aux poissons à la tombée du jour, moment où, en vertu de la
loi vénitienne visant à empêcher la vente de tout poisson avarié, les marchands
étaient tenus d’éparpiller sur le sol tous les invendus. Il y avait toujours
une foule de pauvres gens qui venaient ramper et se battre pour ces restes, au
goût à peine meilleur que le poisson mort échoué le long des digues.
    J’apportais à mes nouveaux amis tous les restes des
repas que je prenais à la maison ou que j’avais victorieusement chapardés en
cuisine. Lorsque je parvenais à leur apporter des raviolis au chou frisé ou de
la confiture de navet, cela ajoutait au moins quelques légumes à leur régime.
Il y avait à l’occasion des œufs, du fromage, des macaronis, et même de la
bonne viande dès que je pouvais dérober un morceau de mortadelle ou de porc en
gelée. Une fois, je parvins à leur offrir un plat qu’ils trouvèrent vraiment
merveilleux. J’avais toujours cru que, la veille de Noël, le Babbo apportait à
tous les Vénitiens la traditionnelle tourte aux lasagnes de saison. Mais
lorsque, le jour de Noël, j’en apportai une portion à Ubaldo et à Doris, leurs
yeux s’agrandirent d’incrédulité : à chaque raisin, chaque pignon resté
intact, à chaque oignon et chaque écorce d’orange confite trouvés préservés
dans la pâte, ils poussèrent des exclamations de plaisir.
    Je leur offris aussi les vêtements (mis de côté parce
que trop petits ou usagés) que je pouvais tirer soit de ma garde-robe, pour les
garçons, soit de celle de ma défunte mère, pour les filles. Tout n’allait pas
toujours à tout le monde, mais diable, ils n’en avaient cure. Doris et les
trois ou quatre autres filles paradaient avec fierté dans des robes et des
châles bien trop grands pour elles, s’emmêlant les pieds dans leurs plis.
J’allai même jusqu’à emporter (pour mon propre usage lorsque j’étais en leur
compagnie) plusieurs de mes anciennes tuniques, ainsi que des chausses si
abîmées que tante Julia les avait consignées dans l’armoire à chiffons de la
maison. J’ôtais d’office tous les beaux vêtements qui venaient de chez moi, les
coinçant entre les planches d’une barque, puis j’enfilais mes nippes usagées,
histoire de me donner l’air d’un simple polisson comme les autres, jusqu’à ce
qu’il fût l’heure de revenir me changer pour rentrer.
    Vous vous demandez peut-être pourquoi je ne donnais
pas d’argent à mes amis, au lieu de mes maigres cadeaux. Mais vous devez vous
souvenir que j’étais orphelin, au même titre qu’eux tous, soumis à un placement
strict et trop jeune pour pouvoir disposer en quelque façon de l’argent amassé
dans les coffres de la famille Polo. L’argent dont nous disposions pour le
train de vie de la maison était octroyé par la compagnie, des mains mêmes de
notre trésorier, Isidoro Priuli. Dès que tante Julia, le majordome ou un autre
membre de la domesticité avait besoin d’acheter pour la Casa Polo quelque
article ou provision que ce fut, il se rendait au marché avec un page de la
Compagnie. Ce dernier transportait la bourse et comptait un à un les ducats,
sequins ou soldi dépensés, établissant une facture pour tout achat. S’il
y avait quelque chose dont j’avais personnellement besoin ou que je désirais,
et pourvu que je pusse fournir de bons arguments, on me l’achetait. Si je
contractais une dette, on la réglait pour moi. Mais jamais, à aucun moment, je
n’ai possédé plus de quelques pièces de cuivre, juste bonnes à tinter dans ma
poche.
    Je fis aussi en sorte d’améliorer le niveau de vie des
enfants des bateaux en leur conseillant des vols de plus grande envergure. Ils
s’étaient en effet

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