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Vers l'orient

Vers l'orient

Titel: Vers l'orient Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gary Jennings
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envier
ou même injurier les privilégiés, elle réserve son ressentiment actif et sa
répugnance à ceux de sa condition, qui sont, après tout, leurs premiers
concurrents en ce bas monde. Ce n’est pas le riche qui vient disputer au pauvre
les restes avariés jetés au sol sur le marché aux poissons. Du coup, lorsque je
fis mon apparition, résolu à donner ce que je pouvais sans rien prendre, les
gens du port tolérèrent ma présence, peut-être mieux encore que si j’avais été
un mendiant affamé.

 
3
    Juste pour me rappeler à moi-même que je n’étais pas un membre de la populace, je faisais de temps à autre une incursion à la Compagnie
Polo, afin de m’abandonner avec délices à ses riches arômes, son ambiance
prospère et son industrieuse activité. Lors d’une de ces visites, ayant trouvé
sur la table de notre chef comptable Isidoro un objet ressemblant à une brique,
mais d’un rouge plus brillant et d’un poids plus faible, au toucher doux et
vaguement humide, je lui demandai de quoi il s’agissait.
    — Par ma foi ! s’exclama-t-il à nouveau,
frappant sa tête grise. Ne reconnais-tu pas là le fondement même de la fortune
de ta famille ? Elle s’est bâtie sur ces briques de safran.
    — Oh, fis-je avec respect en regardant la brique.
Et qu’est-ce donc que ce safran ?
    — Pardi ! Tu en as mangé, senti et porté
durant toute ta vie ! Le safran est ce qui donne ce goût bien particulier
et cette couleur jaune au riz, à la polenta et aux pâtes. Ce qui confère aux
tissus cette teinte orangée et qui donne aux baumes et aux pommades des femmes
leur fragrance préférée. Les médecins en incorporent également dans leurs
médicaments ; dans quel but, j’avoue que je l’ignore.
    — Oh, redis-je, avec un respect quelque peu
diminué pour un produit d’usage aussi quotidien. Est-ce là tout ?
    — Tout ! laissa-t-il échapper, pantois.
Ecoute-moi bien, marcolfo. (Il ne s’agissait pas là d’un affectueux jeu de
mots sur mon prénom : cette expression s’adresse à tout garçon qui fait
preuve d’une stupidité excessive.) Le safran possède une histoire plus ancienne
et plus noble que l’histoire même de Venise. Longtemps avant que notre cité vît
le jour, il était utilisé par les Grecs et les Romains pour parfumer leurs
bains. Ils en éparpillaient sur le sol pour embaumer les pièces. Lorsque
l’empereur Néron fit son entrée à Rome, les rues de la ville entière, parsemées
de safran, étaient imprégnées de son parfum.
    — Dans ce cas, dis-je, s’il a toujours été aussi
facile de s’en procurer. ...
    — C’était sans doute le cas à cette époque, coupa
Isidoro, lorsque les esclaves, nombreux, ne coûtaient pas un sou. Aujourd’hui,
les choses ont bien changé. C’est devenu un produit rare et de valeur élevée.
Cette brique que tu vois ici vaut autant qu’un lingot d’or de poids presque
égal.
    — Vraiment ? dis-je, un brin incrédule
cependant. Mais... pourquoi diable ?
    — Parce que cette brique est le fruit du travail
d’un grand nombre de mains, sur une vaste surface de terrain, et qu’elle
provient d’une infinie multitude de fleurs.
    — De fleurs !
    Maître Doro soupira et m’expliqua patiemment :
    — Il existe une fleur pourpre nommée crocus.
Lorsqu’elle s’épanouit, il surgit de cette fleur trois délicates étamines de
couleur jaune orangé, que les mains humaines prélèvent avec un luxe de
précautions. Lorsque quelques millions de ces fines et presque impalpables
tiges ont été collectées, elles sont mises à sécher pour donner de la poudre de
safran ou sont ce que l’on appelle « transpirées » et compactées pour
former des briques telles que celle-ci. La terre arable ne doit être dévolue
qu’à cette seule culture, et le crocus ne fleurit qu’une fois l’an. Sa saison
de floraison est brève, un grand nombre de ramasseurs doivent opérer en même
temps et agir très vite. J’ignore quelle surface il faut, et combien de mains
sont nécessaires pour produire une simple brique comme celle-ci, mais tu dois
comprendre, maintenant, d’où provient son extravagante valeur.
    J’étais convaincu, en effet.
    — Et où l’achetons-nous, ce safran ?
    — Nous ne l’achetons pas. Nous le faisons
pousser.
    Il posa sur la table à côté de la brique un autre
objet, lequel ressemblait pour moi à une gousse d’ail ordinaire.
    — Ceci est un bulbe de crocus. La Compagnie Polo
les

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