Vers l'orient
à
m’annoncer, vous devez le faire devant nous tous.
Le hakim haussa les épaules.
— Dans ce cas, si vous voulez bien baisser votre pai-jamah... Mon oncle s’exécuta, et le hakim détailla son bas-ventre épilé et
son gros zab.
— L’absence de poils, c’est naturel, ou vous vous
rasez ?
— Je les enlève à l’aide d’une crème dépilatoire
appelée mumum. Pourquoi ?
— Sans la pilosité habituelle, la décoloration
est facile à observer, répondit le hakim, pointant du doigt l’abdomen du
patient. Vous voyez cette nuance d’un gris métal, ici, sur la peau ?
Mon oncle regarda, et nous le fîmes à notre tour. Le
malade demanda :
— C’est le mumum qui provoque cela ?
— Non, fit le hakim Mimbad. J’ai noté
cette lividité sur la peau de vos mains, également. Dès que vous enlèverez vos
bottes charnus, vous la verrez également sur vos pieds. Tous ces
symptômes ne font que confirmer ce que je suspectais depuis que j’ai commencé à
vous examiner et qui découle aussi de mon observation de vos urines. Voyez,
j’en ai versé un peu dans une jarre blanche, pour que vous puissiez vous en
rendre compte par vous-mêmes. Regardez cette teinte trouble...
— Or donc ? dit oncle Matteo en se
rhabillant. Peut-être avons-nous mangé du riz pilaf coloré, aujourd’hui !
Je ne m’en souviens plus.
Le hakim secoua la tête, lentement mais d’un
geste assuré.
— Je vous le répète, j’ai noté beaucoup d’autres
signes. Vos ongles sont opaques. Vos cheveux, fragiles et cassants. Il n’y a
qu’une seule marque de confirmation que je n’ai pas vue, mais vous devez
l’avoir quelque part sur le corps. Une petite plaie assez douloureuse et
purulente qui refuse de cicatriser.
Oncle Matteo regarda le hakim comme s’il
s’agissait d’un sorcier et confirma, d’un ton aussi respectueux
qu’admiratif :
— Une piqûre de mouche, là-bas, à Kachan. Une
simple petite piqûre de mouche.
— Montrez-la-moi.
Mon oncle remonta sa manche gauche. Près de son coude
s’étalait une zone rougeâtre, à vif. Le hakim se baissa pour l’examiner
avec soin et reprit :
— Dites-moi si je me trompe. Quand la mouche vous
a piqué, vous avez ressenti une douleur intense sur le moment, puis la plaie
s’est refermée, comme cela se passe d’habitude. Ensuite, le dessous de la plaie
s’est infecté à nouveau, puis il y a eu une nouvelle cicatrisation, avant que
l’infection reprenne dessous, et ainsi de suite...
— Oui, c’est à peu près ça, admit faiblement mon
oncle. Qu’est-ce que cela signifie ?
— Cela confirme mon diagnostic : vous êtes
atteint du kala-azar. La maladie noire, l’affection du démon. Cela se
déclenche, en effet, à partir d’une piqûre de mouche. Une mouche qui n’est bien
sûr que l’incarnation d’un génie malfaisant. Le djinn qui l’habite,
fourbe par nature, revêt cette forme inoffensive, et nul ne pourrait alors se
douter de la douleur qu’il va engendrer.
— Oh, pas plus que je n’en puisse supporter, tout
de même. J’ai eu la peau un peu marbrée, un peu de toux, une petite fièvre, un
bobo agaçant...
— Malheureusement, cela ne va pas tarder à
empirer. Les symptômes vont bientôt s’aggraver et se multiplier. Vos cheveux
cassants vont tomber, et vous allez devenir complètement chauve. La fièvre va à
terme vous émacier à l’extrême, amenant lassitude et asthénie, et vous n’aurez
même plus la force de vous traîner. Cette douleur que vous ressentez à la
poitrine vient d’un organe que l’on nomme la vésicule biliaire. Elle va vous
faire de plus en plus mal et occasionner de terrifiantes remontées acides dès
qu’elle cessera de fonctionner. Pendant ce temps, la lividité cadavérique
gagnera partout sur la peau, puis brunira jusqu’à devenir noire, se
transformant peu à peu en plaies éruptives, furoncles infectieux qui s’étendront
sur tout le corps... À terme, celui-ci – votre visage compris – finira par ne
plus ressembler qu’à un amas de raisins noirs. Parvenu à ce stade, vous n’aurez
plus qu’une envie, celle de mourir. Ce que vous ferez, dès que vos fonctions
vitales s’éteindront. Sans un traitement immédiat et continu, vous êtes sûr d’y
passer.
— Mais y a-t-il un traitement ?
— Oui. Le voici. (Le hakim Mimbad
produisit un petit sac en tissu.) Ce médicament est une fine poudre métallique
issue du stibium, l’antimoine, si vous préférez. Il est
Weitere Kostenlose Bücher