Vers l'orient
j’apprécierais encore bien plus son action stimulante. Mais mon hôte reprit
mon verre et le but entièrement, avant de le remplir à nouveau d’une outre
différente et de me le tendre en annonçant :
— Ça, c’est de l’arkhi.
Cet arkhi sentait meilleur, mais j’y goûtai
cependant avec précaution car il différait peu, à l’œil, du kumis. J’eus
le plaisir de le trouver beaucoup plus agréable au goût, un peu comme un vin de
qualité moyenne. Je hochai la tête en souriant et leur demandai d’où
provenaient leurs breuvages, car je n’avais repéré aucune vigne dans les
environs. Je fus ahuri d’entendre mon hôte me répliquer fièrement :
— Il vient du bon lait de nos juments.
En dehors de leurs armes et de l’armure de cuir qui
les protège, les Mongols ne fabriquent que deux choses, et ce sont les femmes
qui s’en chargent. Assis sur des coussins recouverts de feutre, sous un toit de
même matière, avalant un breuvage issu du lait de jument, je venais de les
découvrir toutes deux. Je pense que les Mongoles connaissent l’art du filage et
du tissage, mais qu’elles le méprisent, jugeant cette activité par trop
efféminée : ces femmes sont en effet de vraies Amazones. De ce fait, les
étoffes qu’elles portent ont été achetées à d’autres peuples. Elles excellent
pourtant à tisser les poils d’animaux pour en faire un feutre remarquable,
allant des épaisses plaques qui protègent les yourtes à des couvertures plus
douces que la flanelle galloise.
Les femmes mongoles dédaignent également tout lait à
l’exception de celui des juments. Elles ne nourrissent même pas au sein leurs
propres enfants, préférant les habituer d’emblée à ce lait d’origine équine.
Ils tirent de ce liquide des produits peu communs, et je ne mis pas longtemps à
devenir un inconditionnel des divers produits laitiers mongols. Le principal
reste le kumis, au goût douceâtre, qui provoque une légère ivresse. Pour
le fabriquer, on verse du lait de jument dans de grandes outres de peau, que
les femmes battent avec de lourdes cannes jusqu’à ce qu’il se transforme en
beurre. Elles prélèvent ce beurre, en conservent le liquide résiduel et le
mettent à fermenter. Le kumis est alors devenu acre et piquant sur la
langue, avec un arrière-goût d’amande. Un homme qui en boirait suffisamment se
retrouverait au bout d’un moment en état d’ébriété légère. Si l’outre est
battue plus longtemps, si le beurre et le lait caillé se dégagent et si on
laisse fermenter le liquide léger qui subsiste, il donne l’arkhi au goût plus agréable car sucré, légèrement
effervescent et très salubre. Il en faut peu pour être ivre.
En plus du beurre issu du lait de jument, les Mongoles
font un usage fort ingénieux du lait caillé. Elles le laissent sécher au soleil
jusqu’à ce qu’il se transforme en gâteau dur. Elles émiettent alors cette
substance, appelée grut, et la compactent en boulettes qui peuvent
ensuite se conserver presque indéfiniment sans s’altérer. On en met de côté
pour l’hiver, lorsque les juments ne donnent pas de lait, et le reste est
réparti dans les sacs que portent les hommes au cours de leurs marches, comme
rations d’urgence. Il suffit de plonger le grut dans un peu d’eau pour
obtenir instantanément un liquide épais et très nourrissant.
Chez les Mongols, les hommes se chargent de traire les
juments. C’est en effet leur prérogative. Les femmes prennent en charge toute
la suite du processus : kumis, arkhi et grut sont leur œuvre
exclusive, tout comme la fabrication du feutre. En fait, presque tous les
travaux du bok sont effectués par les femmes.
— Parce que le seul rôle véritable des hommes est
de faire la guerre, m’expliqua mon hôte ce jour-là. La tâche des femmes
consiste à veiller à ce que leurs hommes ne manquent de rien, uu ?
Le phénomène, en effet, ne peut être nié, car l’armée
mongole se déplace partout avec les épouses des guerriers, des femmes
surnuméraires pour les hommes célibataires et toute la progéniture qui peut en
résulter, sans que les hommes aient autre chose à penser qu’à se battre. Une
femme peut sans aide monter ou démonter une yourte et assurer tous les travaux
ménagers pour l’entretenir, la tenir propre et la réparer si nécessaire. Elles
nourrissent leurs hommes, s’occupent de leurs vêtements, s’assurent qu’ils
conservent un moral de combattant et les dorlotent
Weitere Kostenlose Bücher