Vers l'orient
de la yourte, ni se
hasarder à siffler à l’intérieur. Si j’eus l’occasion d’apprendre de tels
détails, c’est que les Mongols eurent à cœur de me recevoir et de m’initier à
leurs coutumes tout en s’enquérant des miennes. En fait, ils étaient
incroyablement ouverts au dialogue. S’il est chez eux un trait qui dépasse la
férocité déployée contre leurs ennemis, c’est l’empathie dont ils font preuve à
l’égard de ceux avec qui ils sont en paix. Le son le plus fréquent dans leur
conversation est « uu », qui n’est pas un mot, mais plutôt
l’indice vocal d’une question posée.
— Sain bina, sain urtek ! (Salut à toi, grand frère !)
Tels furent les mots d’accueil d’un groupe de
guerriers à mon intention, qui enchaînèrent immédiatement par :
— De quels deux nous arrives-tu, uu ?
— J’arrive des deux de l’ouest, répliquai-je, à
quoi ils ouvrirent les yeux aussi grand que le permettaient leurs fentes, pour
s’exclamer :
— Hui ! Ces deux sont immenses et couvrent de vastes pays. Dans
ton pays d’Occident, loges-tu sous un toit, uu, ou sous une tente, uu ?
— Dans ma cité natale, sous un toit. Mais je suis
depuis longtemps sur la route et je vis donc sous tente, quand ce n’est pas à
la belle étoile.
— Sain ! s’écrièrent-ils, un large sourire aux lèvres. Tous les hommes sont
frères, n’est-ce pas vrai, « ? Mais ceux qui dorment sous la tente sont
des frères encore plus proches, presque comme des jumeaux. Bienvenue à toi,
frère jumeau !
Et ils effectuèrent de grands gestes pour m’inviter à
entrer dans la yourte de l’un d’eux. Hormis le fait qu’elle était démontable,
elle n’avait qu’une vague et lointaine ressemblance avec ma frêle petite tente
de voyage. L’intérieur n’était qu’une pièce ronde, mais, avec près de six pas
de diamètre, sa taille était confortable : un homme pouvait s’y tenir
debout sans avoir à se baisser. Les murs de lattes de bois entrelacées étaient
verticaux du pied à la hauteur de l’épaule et s’incurvaient ensuite en forme de
dôme. Au centre, un trou circulaire était conçu pour laisser s’échapper la
fumée du brasier qui chauffait la pièce. L’armature murale supportait le
revêtement du toit : d’épaisses feuilles de feutre se chevauchaient,
colorées d’une boue jaune et attachées à la structure à l’aide de cordes
entrecroisées. Les meubles se réduisaient à l’essentiel, quoique de
qualité : des tapis de sol et d’abondants coussins, tous fabriqués en
feutre et de couleurs vives. Au final, une yourte était aussi robuste, chaude
et bien isolée qu’une maison classique, mais elle pouvait être démontée en une
heure et conditionnée en paquets assez compacts et légers pour être transportés
dans un sac de selle.
Je pénétrai dans leur yourte avec mes hôtes mongols
par l’ouverture à rabat de feutre située, comme dans tous les édifices de ce
peuple, de façon à être exposée plein sud. Je fus invité à m’asseoir sur le
« lit de l’homme » situé au nord de la yourte afin de faire face au
sud, point cardinal de bon augure par excellence – les lits des femmes et des
enfants étant rangés le long des côtés moins favorables. Je me laissai enfouir
dans les coussins couverts de feutre. Mon hôte me tendit un récipient qui
faisait office de verre et n’était autre qu’une corne de bélier. Il y versa
d’une outre de cuir un liquide blanc bleuté assez clair, à l’odeur
fétide :
— Kumis, m’indiqua-t-il.
J’attendis poliment que tous les hommes eussent rempli
leurs cornes, puis je fis comme eux : je trempai les doigts dans le kumis et envoyai quelques gouttes vers les quatre points cardinaux, ce qui
revenait à saluer « le feu » au sud, « l’air » à l’est,
« l’eau » à l’ouest, et « les morts » au nord. Après quoi
nous levâmes tous notre corne bien haut et bûmes de bon cœur, mais je me rendis
alors coupable d’une grave atteinte aux bonnes manières. Le kumis était,
comme je l’appris bientôt, une boisson aussi révérée et sainte aux yeux des
Mongols que l’est le qahwah à ceux des Arabes. Je trouvai sa saveur
horrible et, de façon impardonnable, laissai mon visage exprimer mon dégoût.
Les hommes eurent tous l’air immensément peinés. L’un d’eux finit par dire
qu’il espérait qu’avec le temps je m’habituerais à son goût. Un autre ajouta
que
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