Vikings
ceux qui voulaient réduire à néant toute l’oeuvre accomplie depuis qu’un peuple avait décidé de remonter aux sources de son Histoire. La mission était périlleuse, mais aucun de ces hommes n’aurait songé à discuter les ordres. De l’objet de leur quête dépendait assurément l’issue de la guerre. Affaibli par une coalition contre nature réunissant des capitalistes et des bolcheviques, rongé par mille lâchetés, le Reich millénaire trouverait bientôt la clé de son salut. Ludwig sourit ; il était convaincu que sa mission capitale servirait la cause légitime et garantirait la victoire finale. Le Führer serait satisfait et tous ceux qui, jusqu’aux palais de Berlin, mettaient en doute ses recherches, seraient bientôt contraints de reconnaître sa clairvoyance. Il n’y a pas de futur sans Histoire et les vaincus sont toujours des aveugles qui refusent de puiser dans leurs racines la force de combattre.
— Là ! Obersturmführer, je le vois !
Max Koenig était le plus jeune d’entre eux. Il courait plus vite et la nature l’avait pourvu d’yeux de loup aptes à distinguer les formes dans la nuit la plus profonde. Storman accéléra encore sa course et sentit que son coeur commençait à fatiguer. Ils n’en étaient pourtant pas encore à la fin de leurs efforts. Koenig avait vu juste. Devant eux s’élevait ce que des yeux non avertis auraient pu prendre pour une insignifiante petite butte hérissée de résineux. Un simple monticule de terre aplani par les siècles, les pluies et les rudes hivers scandinaves. Mais Storman en avait déjà observé assez pour ne pas s’y tromper ; il s’agissait d’un tumulus élevé par les anciens pour honorer leurs morts en se fondant à la perfection dans la nature qui les avait vus naître.
— Sortez les pelles, vite ! ordonna Storman qui avait retrouvé son souffle.
Les quatre hommes s’emparèrent de leurs outils et commencèrent à creuser. L’entreprise aurait pu paraître incongrue ou irréelle, mais l’acharnement mis par ces hommes à atteindre leur but la rendait presque épique. Storman donnait des coups de pelle rageurs, comme si sa vie en dépendait ; probablement était-ce le cas. Ils étaient bien trop occupés pour s’apercevoir qu’un harfang des neiges qui les observait perchés sur une haute branche venait de tourner la tête dans l’autre sens. Dès lors, tout alla très vite. Le jeune Koenig sentit une résistance au niveau du bout de sa pelle qui s’accompagna d’un petit bruit : « toc ». Il appela Storman et ses compagnons à venir voir ce qu’il avait trouvé. Cette pierre devait être la porte d’accès aux trésors qui dormaient depuis tant de générations sous ce linceul de terre. Mais Storman n’eut pas le temps de s’assurer par lui-même de la découverte de son camarade.
— Ne bougez pas ! Mains en l’air !
La nuit noire comme leurs uniformes fut soudain inondée de lumière. Une troupe d’une quinzaine de partisans entourait les quatre SS de l’Ahnenerbe. Storman songea à broyer la capsule de cyanure qui ne le quittait jamais. Un bref instant, il pensa à l’homme qu’il avait laissé à quelques mètres de là et qui l’avait mené jusqu’à cette forêt. Jamais il ne lui offrirait la victoire. D’ailleurs, était-il possible d’échouer si près du but ? Sans savoir pourquoi, Storman finit par obéir et lever les bras. Ce n’était ni la peur ni la lâcheté qui le poussait à se conformer à ces ordres. Peut-être était-ce le fol espoir de réussir à percer le secret du tumulus et d’écrire une nouvelle page de la glorieuse saga des ancêtres vikings.
Chapitre 2
Rouen, mars 1944
C LAUDE M ONET avait-il songé à la contempler une fois que la nuit tombait sur la ville ? À n’en pas douter, les reflets des étoiles sur la pierre tendre auraient joliment stimulé son imagination. Pierre Le Bihan avait toujours été passionné par la peinture. Et aussi par l’architecture, par la sculpture, la gravure et par tous les arts décoratifs. Le jeune homme faisait partie de ceux qui jugeaient le passé plus passionnant que le présent et à sa décharge, il fallait reconnaître qu’en ce printemps 1944, le présent n’avait rien de bien rassurant. En contournant le vaisseau de pierre planté au coeur de la vieille cité normande, il se dit que les édifices que l’on croit bien connaître offrent un tout autre visage dès qu’on les découvre à une heure
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