Vikings
devait guère avoir dépassé la soixantaine, mais il paraissait plus âgé. Le Bihan songea que cette satanée guerre avait la faculté de vieillir ceux qu’elle marquait. Loin de le réprimander, l’employé lui posa une main paternelle sur l’épaule.
— Tu es le fils Le Bihan, je me trompe ? lâcha-t-il. Je connais bien ta mère, une fidèle entre les fidèles !
Le jeune homme ne releva pas l’appréciation ecclésiastique du degré de foi maternelle, mais il n’aurait jamais cru que la bigoterie de sa mère pût un jour lui venir en aide.
— Tu es archéologue d’après ce qu’on raconte, poursuivit le bedeau. Ce n’est pas une raison pour t’introduire dans notre cathédrale et jouer aux vandales.
— Je poursuis mes études d’historien de l’art, rectifia Le Bihan. Et je ne suis pas un vandale, je fais seulement quelques recherches sur les origines de la Normandie.
— Tu as envie d’aller expliquer tout cela à la police ?
— Non, vous n’allez quand même pas...
Le petit homme fit un geste évasif pour montrer que tout cela ne le concernait pas.
— Je ne te demande pas ce que tu cherches, poursuivit Charmet en baissant un peu la voix, mais sache que tu n’es pas le seul à le chercher...
— Comment ? s’étonna le jeune homme. De quoi voulez-vous parler ? Vous me dites que d’autres sont venus ici avant moi ?
Le bedeau posa l’index sur la bouche pour l’inviter au silence.
— Tais-toi... Ici comme partout en ces temps troublés, les murs ont des oreilles ! Je ne t’en dirai pas davantage. Mais si tu es aussi passionné par les vieilles pierres que tu le prétends, tu devrais aller faire un tour du côté de l’aître de Saint-Maclou. Tu sais, il s’agit d’un lieu où les âmes les plus lourdes sont tentées de se soulager...
Mais je connais parfaitement l’aître, lâcha Le Bihan avec une pointe d’agacement. Cessez de vous exprimer par énigmes. Dites-moi plutôt ce que vous savez et que vous voulez taire.
Mais le bedeau s’était déjà retourné. En marchant à petits pas dans le déambulatoire, il ajouta :
— Peut-être crois-tu connaître l’aître, mais il gagne à être visité à certains moments. L’après-midi, demain par exemple, vers seize heures... Et en quittant la cathédrale, n’oublie pas de fermer la porte en sortant. Dieu a horreur des courants d’air.
Chapitre 3
L E COLONEL O TTO VON B ILNITZ jeta un regard noir au combiné de téléphone qu’il venait de raccrocher. Il y avait décidément quelque chose qui ne lui plaisait pas dans cette guerre. Certes, l’officier était loin d’être un pacifiste. La tradition familiale exigeait qu’au moins un fils par génération accomplît une brillante carrière militaire. Le rôle aurait dû échoir à l’aîné Fritz s’il n’avait pas été emporté par une maladie de poitrine mal soignée. Dès lors, le cadet Otto avait vu tous les espoirs de ses parents se reporter sur lui. Chez les von Bilnitz, on possédait le sens du devoir prussien dans le sang. Depuis le règne du grand Frédéric, les décorations avaient succédé aux faits d’armes et accompagné l’enrichissement de la famille. La perte de la guerre des tranchées et la chute de l’Empire qui s’était ensuivie avaient porté un sérieux coup au moral de la famille. On s’y était désolé de l’évolution politique de l’Allemagne. Augusta, la stricte grand-mère, était allée jusqu’à perdre le goût de vivre en voyant à quel point son cher et vieux Berlin était devenu la ville de tous les vices. La fière capitale prussienne était prise d’assaut par des femmes travesties en garçons et des garçons qui adoptaient l’attitude de vamps fatales. Pour autant, l’arrivée des nazis n’avait pas rassuré la famille. Dans un premier temps, les von Bilnitz s’étaient persuadés que le maréchal Hinderburg constituait un ultime, mais solide rempart contre la vulgarité de ces jeunes braillards racistes en chemises brunes. Mais petit à petit, l’irrésistible ascension de Monsieur Hitler leur avait fait perdre leurs dernières illusions. Leur monde s’en était allé avec la chute de la couronne de l’Aigle. Il n’en restait pas moins que l’Allemagne était à i nouveau en guerre et qu’elle y trouverait peut-être l’opportunité de laver les affronts qu’elle avait subis en 1918. Le souvenir du calamiteux traité de Versailles avait laissé des traces profondes dans la conscience
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