Voltaire
Voltaire espérait connaître les écrivains anglais et retrouver à Londres la vie mondaine qu'il aimait.Surtout, il désirait la paix, la liberté de pensée, et les attendait l'une et l'autre de la tolérance britannique.
On croyait alors en France que l'Angleterre n'était pas un pays religieux. « Point de religion en Angleterre, écrit Montesquieu... Si quelqu'un parle de religion, tout le monde se met à rire. » Ce n'était exact que dans un groupe assez peu nombreux d'écrivains et de grands seigneurs. Mais à coup sûr l'Eglise anglicane était plus tolérante que les Parlements jansénistes de Paris. Les gens d'Eglise, en Angleterre, « insistaient sur le caractère raisonnable du christianisme et les miracles rapportés dans la Bible étaient regardés comme les preuves historiques d'un système qui pouvait être accepté par le sens commun de tous les temps. » En somme, suivant la grande tradition anglaise, on acceptait un compromis ; on était religieux sans fanatisme ou philosophe sans agressivité. Les non-conformistes eux-mêmes étaient devenus moins zélés. « Les quakers étaient spirituellement apaisés et économiquement prospères. » Ce ne devait être que plus tard, au temps de Wesley, que la religion retrouverait une force sentimentale, en attendant que la Révolution Française refît d'elle en Angleterre une force politique et conservatrice.
En arrivant à Londres, Voltaire ne trouva pas « Milord Bolingbroke » qui d'ailleurs, pendant tout son séjour, considéra « son verbiage » comme suspect et se demanda s'il n'était pas un agent de la Cour de France. En revanche, le poète fut accueilli à deux lieues de Londres, à Wandsworth, par un négociant, Mr Falkener, chez lequel il s'installa et auquel, en 1733, il dédia sa tragédie de Zaïre : « A M. Falkener, marchand anglais. - Vous êtes anglais, mon cher ami, et je suis né en France, mais ceux qui aiment les arts sont tous concitoyens... Je vous offre donc cette tragédie comme à moncompatriote dans la littérature et comme à mon ami intime... Je jouis en même temps du plaisir de pouvoir dire à ma nation de quel œil les négociants sont regardés chez vous, et quelle estime on sait avoir en Angleterre pour une profession qui fait la grandeur de l'Etat. » C'était la première fois qu'on dédiait une tragédie française à un marchand ; cela parut singulièrement hardi.
Le séjour de Voltaire à Londres est mal connu. On sait qu'il y donnait son adresse chez Bolingbroke et qu'il logea longtemps à la campagne chez lord Peterborough où, dit-on, il passa trois mois avec Swift. Grâce à Falkener, il vit le monde des marchands ; il admira leur puissance, leur autorité au Parlement, qui flattaient son orgueil de bourgeois. Ce fut en leur compagnie qu'il prit le goût des affaires, où il devait si bien réussir. La première fut le lancement, en Angleterre, par souscription, de son poème la Henriade, dans une édition de luxe in-quarto à tirage limité. Il écrivit à Swift : « Me sera-t-il permis de vous supplier de faire usage de votre crédit en Irlande pour procurer quelques souscripteurs à la Henriade, qui est achevée et qui, faute d'un peu d'aide, n'a point encore paru. La souscription n'est que d'une guinée, payée d'avance. » Ce lancement fut un grand succès et l'édition entièrement souscrite.
Chez Bolingbroke, il connut les conservateurs à demi républicains qui formaient alors la « Tory Democracy », plus tard ranimée par Disraeli, et il rencontra les grands écrivains du temps. Swift et Voltaire étaient faits pour se comprendre et s'admirer l'un l'autre. Les Voyages de Gulliver venaient d'être publiés (1726). Voltaire s'occupa de les faire traduire en français : « C'est le Rabelais de l'Angleterre, mais c'est un Rabelais sans fatras et ce livre serait déjà amusant par lui-même, parles imaginations singulières dont il est plein, par la légèreté de son style, quand il ne serait pas d'ailleurs le satire du genre humain. »
Voltaire vit aussi Pope, Congreve (qui, homme de lettres bien anglais, refusa d'être appelé par Voltaire un poète et dit qu'il ne voulait être qu'un simple gentleman. « Si vous n'étiez qu'un simple gentleman, répondit Voltaire, je ne serais pas venu vous voir ») et Gay, qui lui montra le Beggar's Opera avant les représentations. Il fut assidu à la taverne de l'Arc-en-Ciel et surtout alla beaucoup au théâtre où il devint plus familier avec Shakespeare que
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