Voltaire
leurs idées religieuses ou politiques.
Il y avait d'abord cinq lettres sur les sectes : quakers, anglicans, presbytériens, sociniens, ariens. Le sujet fut toujours l'un des favoris de Voltaire et l'on voit aisément pourquoi. Montrer la diversité des croyances religieuses, c'était prouver la faiblesse de chacune d'elles. En outre il pouvait faire soutenir par les personnages qu'il décrivait des thèses qu'il n'aurait pu exposer lui-même sans danger. « Mon cher monsieur, disait-il à son quaker, êtes-vous baptisé? -Non, me répondit le quaker, et mes confrères ne le sont point. - Comment morbleu, repris-je, vous n'êtes donc pas chrétiens? - Mon ami, repartit-il d'un ton doux, ne jure point, nous sommes chrétiens; mais nous ne pensons pas que le christianisme consiste à jeter de l'eau sur la tête avec un peu de sel. - Eh ! bon Dieu, repris-je, outré de cette impiété, vous avez donc oublié que Jésus-Christ futbaptisé par Jean? -Ami, point de jurements, encore un coup, dit le bénin quaker. Le Christ reçut le baptême de Jean, mais il ne baptisa jamais personne; nous ne sommes pas les disciples de Jean, mais du Christ. — Ah ! comme vous seriez brûlés par la sainte Inquisition ! » m'écriai-je...
Après les thèmes religieux, les thèmes politiques : deux lettres sur le Parlement et le Gouvernement. La puissance des Communes plaisait au bourgeois Arouet, et aussi l'absence de certains privilèges. « Tout cela donne un juste orgueil à un marchand anglais et fait qu'il ose se comparer, non sans quelque raison, à un citoyen romain. Aussi le cadet d'un pair du royaume ne dédaigne point le négoce... »
Suivent ce qu'on pourrait appeler les lettres de vulgarisation, dont une sur la philosophie de Locke, qui est l'occasion pour Voltaire d'exposer une première fois sa propre doctrine. Il croit en Dieu, mais il n'admet pas que nous puissions rien savoir de Dieu, sinon qu'il existe et qu'il a fait le monde. Il croit à l'immortalité de l'âme parce qu'elle est nécessaire au bien de la société, mais il ne trouve pas trace, dans la nature, de cette âme et loue Locke de dire modestement : « Nous ne serons peut-être jamais capables de connaître si un être purement matériel pense ou non. »
Puis viennent des lettres scientifiques sur Newton et le système de l'attraction, sur l'optique, sur l'infini. Toutes montrent de la curiosité et une information assez étendue. Enfin le livre se termine par des lettres sur la tragédie et la comédie. Il y révèle aux Français Shakespeare, « que les Anglais prennent pour un Sophocle... Il avait un génie plein de force et de fécondité, de naturel et de sublime, sans la moindre étincelle de bon goût et sans la moindre connaissance des règles ». Mais, touten plaignant Shakespeare de n'avoir pas connu les règles, Voltaire blâmait ceux qui n'avaient fait connaître aux Français que ses erreurs et il essayait lui-même de traduire en vers un de ses plus beaux passages. Il avait choisi le monologue d'Hamlet : « To be or not to be... » et il en avait fait du Crébillon. Un jargon abstrait avait remplacé le vigoureux langage de Shakespeare ; le balancement régulier des alexandrins berçait le lecteur :
Demeure ; il faut choisir et passer à l'instant
De la vie à la mort, et de l'être au néant.
Dieux justes ! s'il en est, éclairez mon courage.
Faut-il vieillir courbé sous la main qui m'outrage,
Supporter ou finir mon malheur et mon sort ?
Qui suis-je ? Qui m'arrête ? et qu'est-ce que la mort ?
C'est la fin de nos maux, c'est mon unique asile ;
Après de longs transports, c'est un sommeil tranquille ;
On s'endort et tout meurt...
Mais si sa traduction était infidèle, son commentaire était intelligent : « Le génie poétique des Anglais ressemble, jusqu'à présent, à un arbre touffu planté par la nature, jetant au hasard mille rameaux, et croissant inégalement avec force. Il meurt si vous voulez forcer sa nature et le taillez en arbre des jardins de Marly. »
Dès que le livre parut, la police le poursuivit. Le libraire fut mis à la Bastille. Voltaire dut se réfugier en Lorraine et les Lettres Philosophiques furent, par arrêt du Parlement, « condamnées à être lacérées et brûlées dans la cour du Palais, au pied du grand escalier d'icelui, par l'exécuteur de la haute justice, comme scandaleuses, contraires à la religion, aux bonnes mœurs et au respect dû aux puissances ». Arrêt qui fut exécuté le 10 juin
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