22 novembre 1963
qu’un nom, et quand la honte y colle, elle y reste. Personne n’aime la honte. Il espérait seulement qu’on allait peut-être le démarier bientôt.
Après la bénédiction, Herbert dit aux mariés de faire leurs paquets : il les emmenait à Bercenay, ils feraient route avec les valets qui menaient ses bagages. Il y eut un retard – Églantine s’était entaillé la gorge avec un couteau de cuisine, elle avait perdu un peu de sang et tremblait si fort que ses dents claquaient. La dame la mit elle-même sur la charrette, lui promit de venir la chercher dans quelques jours – une fois à Troyes Herbert oublierait l’histoire et pardonnerait, il n’était pas mauvais, au fond, seulement il ne fallait pas le contrarier. « Aussi, c’est bien de ta faute, ma pauvre sotte, pourquoi l’avoir provoqué, tu le connais. » Églantine ne l’écoutait pas. Elle était prise de tels tremblements nerveux que ses genoux et ses bras tressautaient comme secoués par les cahots d’une voiture. « Tu es malade, dit la dame, tu vas rester, Herbert dira ce qu’il voudra. » La jeune fille secoua la tête et la repoussa. « Laissez-moi, hoqueta-t-elle. Je vous déteste. Je vous maudis. Je vous maudis. Je maudis la sainte Vierge. » Et comme la dame lui prenait la main, elle cria : « Laissez-moi ! Vieille sorcière » et tomba sur la charrette, recroquevillée, la tête dans ses bras. La charrette s’ébranla, les roues grincèrent sur leurs essieux.
À Bercenay, les nouveaux mariés furent enfermés ensemble dans la cabane du guetteur, où ils passèrent la nuit, chacun dans son coin, évitant même de se regarder, tant ils éprouvaient de haine et de dégoût l’un pour l’autre. Herbert n’y pensa plus beaucoup. Il avait d’autres soucis. Plusieurs fois l’image du nouveau couple traversa son esprit, jamais pour longtemps, tantôt il la voyait comme une bonne farce, tantôt comme un acte de justice, tantôt même ses sens en étaient irrités, – pas trop : son désir s’était changé en dégoût après une dernière flambée – le crachat, les pieds boueux de Macaire, la honte d’avoir été asservi pendant tout un long mois, la répugnance devant cette chair trop parente de la sienne – le tout se confondait dans une même sensation de saleté, dont il était content d’être délivré. De femmes, il n’était pas près d’en manquer.
Il avait une journée de voyage devant lui. Et après, il devait encore passer chez les armuriers, voir si tout était prêt ; il logeait chez un marchand de laine, qui lui cédait la moitié de sa maison – il allait falloir faire orner les chambres, acheter le vin – il avait tant d’amis à recevoir pour leur présenter son fils ; le garçon était beau et bien élevé, il ne lui ferait pas honte. Pour le mariage, tout était arrangé, la dame était veuve, avec un fort douaire, il avait obtenu l’accord du vicomte – non sans peine – et la parenté de la femme voulait bien ; mais il était tout de même plus poli d’envoyer un présent au futur beau-père – un paon vivant, et un caillou du jardin du Saint-Sépulcre. La dame n’était pas très jeune, évidemment, mais pouvait encore faire des enfants ; elle avait de beaux fils, des garçons vigoureux et batailleurs.
En écoutant le souffle égal d’Ortrud endormie, il se mettait de nouveau à rêver à la petite entaille rouge sur le cou d’Églantine – si elle recommençait ? mais non, ces filles-là ne se tuent jamais pour de bon. Celles qui se tuent, ce sont les calmes, les douces – Pernelle, la fille du bûcheron… Non, il était bon que cette aventure-là se fût terminée de cette façon. Il est des plaisirs amers qui sont parfois aussi forts que les autres. Mettre un fer rouge sur une plaie envenimée fait mal, et guérit en même temps. Tuer ainsi par le dégoût un amour qui vous tenait si fort – c’était aussi un plaisir assez poignant pour vous retourner les entrailles. Bien sur, il n’était pas une brute, il avait pitié ; la pitié non plus n’était pas un sentiment déplaisant. Et puis, il eût bien fallu, de toute façon, en finir avec cette fille puisqu’il était obligé d’aller à confesse et communier pour les fêtes de Pâques.
ARABESQUE
Ce jour de Pâques, après la grand-messe, la comtesse donnait un repas dans la grande salle où tous les barons étaient présents. Les fenêtres étaient ouvertes et le soleil faisait reluire les
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