Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
22 novembre 1963

22 novembre 1963

Titel: 22 novembre 1963 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Adam Braver
Vom Netzwerk:
paupières fermées, mais non, plus rien, il était comme une brute qui n’a jamais eu d’yeux, qui a une tête de bois avec juste un trou dedans pour avaler le pain.
    De quelque côté que je me tourne il n’y aura plus de soleil pour moi. À quelque heure que je me réveille il n’y aura plus de jour pour moi.
    Toutes les routes seront pareilles, je n’en verrai plus de nouvelles, tous les hommes seront sans visage, je n’en verrai plus de nouveaux.
    Ami, ami, vous ne me reverrez plus. Ni vivante ni morte.
    Il y avait une fois un vieil homme si aveugle qu’il a pris la peau d’un chevreau pour la main du fils qu’il aimait, et qui a béni à sa place le fils qu’il n’aimait pas. Et ce fils est devenu fort, et est devenu le père des douze patriarches. Parce qu’il n’était pas donné au fils aimé d’être béni. Moi, mon fils aimé est poussière et terre depuis longtemps et n’a plus d’yeux ni d’oreilles ni de voix ; et c’est celui que je n’aime pas qui aura tout, et les enfants et la terre, et le nom. Et c’est pour cela que je dois aller aveugle sur la route, pour retrouver l’enfant qui a perdu ses yeux de chair et son cœur de chair. Telle est la volonté de Dieu.
    Ah ! Celui qui a volé la bénédiction et l’héritage, qu’il vive en paix et croisse et se multiplie, puisque c’est Dieu qui l’a voulu. Je sais bien que la volonté de Dieu n’est pas celle des hommes.
    Et le mercredi après Quasimodo ils arrivèrent à une grande bourgade où il y avait une église consacrée à saint Pierre ; et comme saint Pierre était le patron de Troyes et qu’Ansiau l’avait souvent prié, il alla s’agenouiller devant le porche de l’église et demanda à Auberi de lui faire toucher des mains l’image de saint Pierre sculptée dans le portail. Et il leva ses mains et les joignit sur le pied de saint Pierre, et appuya son front contre la colonnette de support. Et il resta là parlant à saint Pierre, comme il eût parlé à un oncle ou un parrain : « Je vous ai toujours aimé et honoré. Jamais dans mes prières je n’ai oublié votre nom. Dans le temps où j’étais jeune, après chaque tournoi je vous faisais offrande d’un cierge. À présent, je ne peux plus rien vous donner. Et je ne peux même pas voir votre face, car je suis aveugle.
    » Je n’ai rien à vous demander, sinon la santé de ma dame et de mes enfants. Pour moi, je vous aimerai loyalement quand même, et mieux qu’avant depuis que je n’ai besoin de rien. J’ai le cœur si triste que je suis bien heureux de vous retrouver, père et ami. Dans votre paradis où vous êtes devant le Roi Fort, pensez à moi, pauvre pèlerin. Dans votre grande église de Troyes, souvenez-vous quelquefois de moi pendant la messe. Ô le meilleur de tous les hommes, personne n’a aimé Dieu autant que vous au temps où il était sur terre, combien ne doit-on pas vous aimer, car aimer comme vous l’avez fait, personne ne l’a jamais su et ne le saura jamais. Si jamais j’avais seulement une petite parcelle de votre grand amour pour Lui, j’aurais certainement la force de tout supporter sans me plaindre, père et seigneur. »
    Le soleil tombait en plein sur la tête découverte du vieux. Et il était si immobile que les pigeons qui voletaient autour du porche commençaient à se poser sur ses jambes et ses épaules. Et plus il restait là, serré contre la colonne, les mains enserrant le pied de saint Pierre, plus il avait envie de rester là toujours, et il ne sentait pas son sang se retirer de ses bras engourdis, et comme il ne voyait rien il sentait son corps devenir immense, et monter, et croître dans tous les sens, et la colonne était comme un énorme pilier de cathédrale et la statue de saint Pierre grande comme une tour montant vers les nuages, et le portail de l’église s’élevait plus haut que les montagnes et dominait tout le pays, il n’aurait eu qu’à faire un pas pour enjamber le Rhône, qu’à étendre la main pour toucher la mer. Et, chose étrange, cela ne l’effrayait pas. Il n’éprouvait ni vertige ni ivresse, mais un grand calme. Comme s’il venait de comprendre que c’était tout naturel, qu’il avait toujours été plus grand que les montagnes sans le savoir. Et il voyait d’immenses étendues de montagnes embuées de soleil, puis bleues au loin, bizarrement déchiquetées, des fleuves à rives vertes couverts de flottes de bateaux à voiles, puis des champs de blés mûrs à perte

Weitere Kostenlose Bücher